Archives de catégorie : Littérature

Border la bête de Lune Vuillemin

Elle brassait de la bière en dansant et Frank a perdu le rythme. Elle a voulu retirer les tiques de sa fourrure et l’orignale n’a pas survécu.
C’est un roman d’amour et de mort et de mort et d’amour. Au bord des lacs, sur les berges de Babine, dans la cabane d’Arden, au cœur de l’herbier sonore qu’elle compose avec Jeff, elle cherche le sens et sa place dans toute cette nature et, d’araignée en sapin baumier (chemins de coccinelles) ce qu’elle peut faire des sentiments qu’elle éprouve pour celle qui danse avec les coyotes, de cette lumière ambrée qui la talonne et de la bienveillance borgne qui éclaire ses pas.
L’amour, la mort, la jalousie, la colère…
Et la beauté.

La Contre Allée éditions, à paraître le 12 janvier 2024, 19 euros

Les voleurs d’innocence, de Sarai Walker

Sylvia, seule survivante des huit filles de la famille Chapel, voit son passé ressurgir malgré elle et la replonger dans son enfance, quand elle était encore Iris, lorsque tout a basculé avec le mariage de sa sœur ainée… Une plongée dans les années 50 aux côtés de ces jeunes filles qui tentent d’échapper à leur condition, au poids de l’héritage familial, de la folie maternelle, pour être libres.

« Cette histoire a des arrêtes déchiquetées, pourrait infliger de profondes blessures. Ce n’est pas une histoire que je peux raconter avec du fil et une aiguille, cousue à petits points bien nets. Ce sont des tessons ou rien. »

Laissez-vous entrainer dans ce roman gothique sur les traces de ces jeunes filles aux noms de fleurs frappées par un mal mystérieux qui les emporte au lendemain de leurs noces.

L’amour de François Bégaudeau

Lorsque Bégaudeau s’empare de la vie d’un couple ordinaire de la classe populaire française aux débuts des années 1970 et l’émancipe de l’atmosphère glauque et « plombante » à laquelle elle est souvent assignée… Presque un demi-siècle d’amour sur fond d’évolution de la société dans un livre court qui en peu de pages et de mots bien choisis donne la place à un quotidien fait de petites choses, sans grands éclats de vie mais débordant de tendresse…

Étraves de Sylvain Coher

Le Grand Inondoir a envoyé une partie de l’humanité sur les mers où la loi de la débrouille règne en maîtresse alors que “Culs-terreux” et “Pousse-cailloux”, les pieds solidement ancrés sur ce qu’il reste de terre ferme enchevêtrée aux déchets, gardent jalousement leur lopins au sec et loin de cette vile engeance condamnée à l’errance.

À bord du “Ghost”, “cargo gothique” peuplé d’une quarantaine de crève la faim, Petit Roux s’oppose à l’équipage, refuse de se soumettre et soustrait la dépouille de Câline, sa mère, aux papilles de ses congénères. Il choisit la fuite avec l’espoir chevillé au corps d’atteindre le jardin interdit et de lui donner une sépulture digne.

Récit maritime post moderne aux effluves de fable initiatique atemporelle… Traque et course poursuite sur l’océan dans laquelle le sextant côtoie les restes de panneaux solaires et les polymères à la dérive… Subtil mélange entre “Mad Max”, un bon vieux “Waterworld” et “Pirates des Caraïbes”… Critique tout en relief des conséquences de nos choix de société et des travers de notre humanité… Un cocktail détonnant servi dans une langue aussi précise que gouailleuse… Une pépite atypique et savoureuse pour celles et ceux qui aiment intensément s’en laisser conter… 🙂

Actes Sud – 21.80 euros

Les terres animales, de Laurent Petitmangin

Après l’accident, dans cette zone irradiée devenue hostile, ils sont une poignée à ne pas avoir fui. Chacun ses raisons.

« Pourquoi rester ? Question interdite. On se contente de la circonvenir. Par quelques affirmations un peu débiles, c’est pas pire qu’ailleurs, au moins on est tranquilles, par de petites réassurances communes, puis, quand il faut dégainer le lourd : maintenant qu’on a commencé. Ce maintenant qu’on a commencé résume l’espèce de pacte qui nous étreint, il prévient de tout délitement. »

Marc, Alessandro, Lorna, Sarah et Fred ont trouvé un équilibre grâce à leur amitié. Jusqu’à ce qu’un évènement imprévu remette leurs convictions en question.

Un roman touchant et plein d’humanité qui nous entraine dans un lieu suspendu,, hors du monde et hors du temps.

Suite inoubliable, d’Akira Mizubayashi

Jeune et brillante luthière, Pamina se voit confier la réfection d’un violoncelle d’exception. Elle découvre une lettre dissimulée à l’intérieur, qui la plongera dans le Japon des années 44-45 et dans l’histoire du talentueux violoncelliste Ken Mizutani avec la grand-mère de Pamina, Hortense Schmidt.

« L’étrange et extraordinaire histoire du Pax animae par Hortense, de ce magnifique violoncelle qui était devenu pour elle l’ombre de son jeune ami, son mausoléé.[…] Elle avait mis dans son œuvre toute son âme, toute sa vie de luthière en même temps que tout son amour pour le jeune violoncelliste dont elle avait été séparé par la marche implacable de l’histoire. »

Un superbe roman qui nous emporte dans un univers de beauté musicale et de passions, plus forts que la folie guerrière et l’oubli du temps, capables de susciter, dans une « sombre période, le désir de résister ensemble à la torture infligée à l’esprit est plus fort que la peur. »

Le grand feu, de Léonor de Récondo

A sa naissance, Ilaria est confiée par sa mère à la Pietà, institution vénitienne qui accueille principalement des orphelines et les élèvent dans le chant et la musique, tout en les coupant du monde extérieur. Elle devient l’élève du jeune Vivaldi et découvre la force de l’amitié et le monde extérieur en se liant avec Prudenza.

« Epidémies, joies, secrets, éblouissements d’eau et de feu, le petit cœur vivra son temps, traversé d’appréhensions et gonflé de bonheurs, oublieux, lâche et parfois courageux, mais toujours régulier à battre la mesure de la vie d’Ilaria. […] Aimera-t-elle ? Partira-t-elle ? Fera-t-elle le choix de rester ici pour aider d’autres femmes à s’élever, à se libérer ? » 

Un roman qui nous emporte dans Venise autour de la passion dont le feu ronge de l’intérieur, passion pour la musique, passion amoureuse, qui portent et consument une jeune femme en éveil. Léonor de Récondo nous plonge dans un univers musical qu’elle connait bien dans un roman qui laisse cependant un petit goût de trop peu…

Mississippi, Sophie G. Lucas

“1871,

J’ai vu la foule tomber. Et ça fait beaucoup de bruit des corps qui tombent, je sais pas, les tissus, les corps sur d’autres corps, c’est tout autour le bruit, les tirs, les coups, les cris (moi j’étais silencieux, j’arrivais plus à bouger ni à sortir un mot de ma bouche, c’était fermé, bloqué, c’était comme si mon corps il était plus là, comme si j’étais à l’extérieur de mon corps, c’est ça oui, en dehors), mais c’est pas mon corps que je voyais, c’étaient tous les autres, des corps d’hommes, des corps de femmes, explosions, cris, fracas, boum, cris, chocs.”

Presque deux siècles d’une fresque familiale qui sinue dans l’absolue violence de la société et ses inégalités. Un élan romanesque éblouissant, une écriture puissante qui dévale les pages et roule, sans entrave, comme les eaux d’un fleuve…

Ce sera sur les tables de la librairie le 18 août et nous avons grande hâte de vous en parler !

Mississipi, La Contre Allée éditions, 18 euros.

Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie, Elise Goldberg

“Le shmalts, c’est la graisse d’oie servant à cuisiner, c’est aussi l’excès de sentimentalité.”

Quand les souvenirs affluent par la porte d’un frigo entrouverte ou miam, mes aïeux !

À la mort de son grand-père, la narratrice hérite de cet incontournable équipement de cuisine qu’est son frigidaire. C’est au milieu des victuailles et des plats traditionnels de la cuisine ashkénaze que le roman de sa famille se déroule tels les pages d’un menu.

Si les souvenirs ont un goût, si les souvenirs ont une langue, ils ne sont pas dans la tradition yiddish et sa cuisine spontanément appréciables. Aliments peu sensuels, textures inquiétantes, saveurs fades et vocables boiteux, il faut apprendre à connaître leur histoire depuis les frontières de la Pologne juive pour en apprécier le charme complexe ; il ne saute ni aux papilles, ni aux oreilles. C’est sur cette route que nous entraîne ce livre, sur ce que la culture culinaire et les petites habitudes quotidiennes disent des gens, bien mieux bien plus intimement que de long discours. De toutes ces anecdotes et détails qui, aux yeux d’une petite fille et d’une jeune femme, peuvent agacer, manquent de clinquant, l’autrice fait ressurgir le passé de ce peuple juif polonais obligé de vivre caché, de passer inaperçu, de ne pas attirer l’attention ni susciter l’envie à l’image de ces recettes traditionnelles pas très appétissantes de prime abord. Mais, il existe un au-delà des apparences que l’on rencontre au fil des pages et qui nous entraîne à sa suite vers des histoires de vie prises dans les tourments de l’histoire…

Un premier roman touchant, plein d’humour et de dérision aimante qui à partir de souvenirs très personnels dessinent finement le portrait de toute l’histoire et la culture yiddish.

“Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie”, éditions Verdier, 18 euros.

En librairie le 24 août 2023.

MURmur, Caroline Deyns

“(…) Le CRI est dans l’éCRIre.”

Une société qui jetterait les femmes en prison pour une interruption volontaire de grossesse, avortement et fausse couche reconnus sans distinction comme un homicide aggravé, ça n’est pas imaginable dans nos “pays civilisés”… Qui irait imaginer qu’une femme violée, enceinte et dénoncée par son bourreau puisse être inquiétée par la justice si elle prenait la décision de ne pas mener sa grossesse à terme ? Femmes vendues, mariage forcée, procréation à la chaîne, elle est longue et incomplète la liste de tout ce qui asservit les femmes et qui semble, ici et maintenant, parfaitement impensable.

“Je voudrais avoir le courage de la démence.”

La narratrice s’adresse à nous depuis les murs de la cellule dans laquelle elle a été incarcérée après une fausse couche. Emmurée dans son propre corps, une histoire transmise de bouche à oreille de femme en femme contient les clefs de l’insurrection…

Parce qu’elle trace sur le papier “ces explosifs qu’elle transporte que l’on appelle des mots”(1), ce savoir aux allures de conte prémonitoire tenu secret pour que perdure l’oppression, enfle, se transmet, se répand parmi “les captives, les muselées et les ignorantes” et s’infiltre dans la moindre fissure jusqu’à faire exploser les injonctions imposées à toutes les femmes.

Cette lecture a le pouvoir de faire se raréfier l’air, de gagner chaque pore de la peau jusqu’à la chair de poule, de provoquer une très saine envie de révolte et une profonde réflexion… Parce que la transmission de la mémoire et de l’histoire commune est incontournable pour échapper au retour en arrière qui ne serait pas s’en déplaire à certains.es, ce livre est indispensable ! (Non, ce n’est pas dingue, c’est même plus que réel pour les femmes au Salvador, pour les Américaines… etc.). Un texte à mettre entre toutes les mains y compris celles de nos grandes ados qui y découvriront peut-être pour certaines un pan, si récent, de l’histoire des luttes des femmes et continueront cette chaîne de transmission sans baisser la garde.

“(…) toute loi est réversible.”

Un immense coup de cœur pour ce texte dont la finesse et l’intelligence n’ont d’égales que la force pure.

“MURmur”, éditions Quidam, 19 euros. En librairie le 22 août 2023

  1. https://www.cambourakis.com/tout/sorcieres/je-transporte-des-explosifs-on-les-appelle-des-mots/