Archives de catégorie : Littérature

Kramp de Maria José Ferrada

Chili, années 1960.

M, une petite fille, accompagne son père, représentant en quincaillerie pour la marque “Kramp” sur les routes.

De cafétérias en hôtels, de villes en villages, elle dessine, avec son regard candide autant que scrutateur, le portrait d’un Chili à hauteur de ses yeux d’enfants.

Les représentants de commerce et leurs histoires incroyables, son père, D, avec ses chaussures cirées au volant de sa 4L, E, l’ami photographe qui poursuit les fantômes remplacent de plus en plus souvent les apprentissages sur les bancs de l’école.

Une autre vision du monde et un père non pas “inconscient” mais “pionnier de la pédagogie systémique”… Un monde aussi rutilant, pour la petite M, qu’une scie toute neuve qui cache pourtant des fêlures et une réalité politique, sociale et économique bien plus sombre sur laquelle la rencontre avec un “insecte de la destinée” et l’entrée dans l’adolescence l’obligeront à lever le voile.

Un texte bercé de mélancolie, doux et féroce, qui raisonne longtemps une fois la dernière page tournée.

J’aimerai tant que tu sois là, de Jodi Picoult

Alors que l’épidémie de COVID menace et que Finn est réquisitionné à l’hôpital, Diana maintient ses vacances aux Galapagos. Mais sitôt arrivée, l’île ferme ses frontières et se confine. La voilà seule, sans hôtel, ni valise, ni réseau, dans un pays dont elle ne parle pas la langue… Elle qui a toujours planifié son existence se retrouve pour la première fois dépossédé de tout, sans objectifs à remplir. C’est l’occasion de se poser, de faire le point et, peut-être, de remettre en question ce qu’elle croyait acquis à son bonheur.

Une belle histoire de femme qui s’interroge sur ce qui fait son bonheur et le sens donner à sa vie, à un moment où le destin l’oblige à faire une pause dans un quotidien bien réglé et lui donne l’occasion pourquoi pas d’un nouveau départ… Un roman qui peut de prime abord paraitre assez convenu mais, à son habitude, Jodi Picoult nous surprend par un retournement de situation qui pimente la lecture !

Une nuit particulière, Grégoire Delacourt

Cette nuit, après trente ans d’amour fou, le mari d’Aurore la quitte. Au désespoir, elle aborde un inconnu, “Emmenez-moi”. Lui aussi a besoin d’une distraction, d’oubli. Sans se connaître, ils partagent le temps d’une nuit un présent absolu. “Deux êtres qui passent, deux nuits qui se croisent et se télescopent, et pourquoi ne pas tenir ainsi jusqu’à l’aube, et pourquoi ne pas disparaître en silence dans le bruit des autres, et pourquoi ne pas se dire ce qu’on n’ose jamais, s’aimer comme on n’ose pas, c’est à dire sans raison“.

Un roman d’amour sans vraiment l’être, qui nous emporte dans l’errance de deux êtres brisés qui vont s’abandonner, se fuir et fuir la violence de leurs vies, le temps d’une parenthèse, d’une nuit suspendue.

L’île du lac, d’Arnaud Rykner

Une île anonyme au milieu d’un lac. Un homme y vit, seul, hors du monde, hors du temps, dans un monde qui semble suspendu, en symbiose et en paix.

Et le lac.
Et au milieu du lac, l’île.
Dans l’île, lui.
Quoi de plus demander ? Quoi vouloir de plus ?
Quelle chance.
Il se dit encore : tout est là.
D’autres voudraient du bruit et du mouvement.
D’autres voudraient de la vitesse, de la richesse.
Lui ne veut rien. Il veut ça
.”

Un poème narratif sur le temps et un hommage à la culture japonaise qui sonne avec la beauté des haïkus.

Devenir lionne de Wendy Delorme

La femme n’est définitivement pas un être à domestiquer et à dresser, n’en déplaise aux tenaces héritiers du patriarcat longuement et systématiquement reconduits dans leur comportement de mâles prédateurs. Ils continuent d’essayer de soumettre les lionnes rugissantes et puissantes qui sommeillent derrière leurs barreaux subis, jusqu’à l’acceptation, parce que la définition de l’amour qu’on leur a refilé dans leur condition de femelle est erroné. Si elles ne ne le savent pas d’emblée parce que trop modelées elles-mêmes par quelques siècles de martelage leur inculquant la soumission, elles le ressentent au fond de leur ventre que ça sent le fauve…

Le regard que l’homme pose sur l’animal ne diffère pas de celui qu’il accorde à la femme. Incapable de penser et de concevoir un mode de fonctionnement différent du sien, il domine.

Quand il est question de survie, lionnes et femmes, sont celles qui feront ce qu’il faut pour elles-mêmes et pour les leurs.

Lionne en cage qui se ronge les pattes détruite par la captivité et femme dévorée dans sa chair et son esprit par un amant dévastateur, elles sont sœurs dans leur combat contre l’asservissement.

De ce qui a été vécu il y a 20 ans dans une vie de jeune femme, il restera des blessures, des cicatrices, des peurs profondes qui semblent impossibles à surmonter et un jour, il y aura un autre visage de l’amour. Dans ces pages, M ou le nom de l’amour libéré et libérateur de l’angoisse de l’appartenance toxique, l’amour vrai qui enlace sans contraindre.

Un immense coup de cœur pour ce texte d’une rare puissance.

Boris, 1985 de Douna Loup

Boris Weisfeiller, disparu au Chili en 1985. Un nom parmi tant d’autres sur la liste des disparus pendant les années de dictature de Pinochet. Nous ne le connaissons pas, il n’apparaît pas sur nos portraits de famille et nous ne partageons pas de liens avec lui et pourtant, dès les premières pages du récit de Douna Loup, il devient notre propre chair.

Boris est né en URSS dans une famille juive au tout début des années 1940. Son père, médecin juif hongrois qui avait fui Budapest après avoir participé au soulèvement de 1922 contre le gouvernement, les abandonne, lui, sa sœur Olga et leur mère, après avoir été expédié en Sibérie en 1950. Boris devient un élève brillant et malgré les difficultés que rencontrent la famille pour subvenir à ses besoins, il intègre l’université et en sort diplômé en 1963. Empêché de poursuivre une carrière scientifique dans son pays, il fait une demande d’exil en Israël dont il ne foulera finalement jamais le sol pour atterrir, en 1975, aux États-Unis. Une vie libre, enfin, pour ce trentenaire passionné par les chiffres autant que par les grands espaces.

Rien d’étonnant pour sa famille, restée en URSS, ni pour ses amis, à le voir prendre un avion en décembre 1984 en direction du Chili. Le 15 janvier 1985, son sac à dos et ses effets personnels sont retrouvés au bord de la rivière Nuble. Personne ne le reverra.

Entre 2019 et 2020, Douna Loup prend la route des États-Unis et du Chili à la suite de ses ainées. Elle multiplie les rencontres, traque les détails qui auraient pu leur échapper pour espérer, à son tour, clore ce chapitre de leur histoire resté sans point final depuis 1985. D’une tragédie personnelle et intime, Douna Loup dont Boris est le grand-oncle, livre un récit vaste et puissant sur le Chili des années 1980. L’enquête irrésolue héritée de sa propre histoire familiale devient celle menée par chaque famille chilienne amputée d’un membre par Pinochet et sa meurtrière DINA.

Harlem Shuffle de Colson Whitehead

L’ascenseur social n’embarque pas grand monde dans le Harlem des années 1960 et Carney, vendeur de meubles et d’électroménager sur la 125ème avenue, est décidé à ne pas râter le coche. Avec une femme issue de la “haute” dont les parents jubilent à l’idée de le rabaisser à la moindre occasion et deux gosses à nourrir, c’est bien certain que sa vie aurait une autre gueule côté Riverside dans un appartement plus grand et confortable. Sauf que le commerce ça ne paie pas aussi bien qu’il le voudrait et ce ne sont pas les quelques petites entorses à la légalité qui font bouillir la marmite. Qu’on se le dise, Carney est un (brin) filou mais pas un voyou et c’est bien contre son gré et par fidélité familiale un peu bonne poire qu’il va se retrouver embarquer dans un gros coup. Et si ça sent rapidement le roussi parce que dans le quartier, ni les truands armés, ni ceux en col blanc, ni les flics ne plaisantent quand on essaie de la leur faire à l’envers, il se pourrait bien que Carney parvienne tout de même à tirer son épingle du jeu.

Lutte des classes à l’aigre plus que doux, proxénétisme et banditisme qui empruntent au cocasse sans échapper à la violence, l’humour mordant ne parvient pas à évincer l’âpreté de l’époque.

Executeur testamentaire en revisite du roman noir américain, Colson Whitehead excelle dans cette peinture de la réalité politique et sociale de Harlem au début des années 1960.

Fille en colère sur un banc de pierre de Véronique Ovaldé

Aïda a quitté son île natale et sa famille depuis bien des années et ne s’attend pas à ce qu’on la prévienne de la mort de son père. Elle décide d’y retourner, se confronter à ses sœurs, au silence, à la disparition de Mimi lorsqu’elle était enfant, qu’on ne lui jamais pardonnée. Le passé va remonter, et avec lui, peut-être, la résolution de cette disparition.

Un roman prenant qui nous plonge dans les silences et non-dits d’une famille frappée par la tragédie.

Prends ma main, de Dolen Perkins-Valdez

Alabama, années 70.
La jeune Civil entre comme infirmière dans un planning familial, désireuse de venir en aide aux femmes les plus démunies. Mais bien vite elle s’interroge sur les méthodes et les produits auxquels sont soumises les patientes. Elle se prend d’affection pour deux fillettes et va se battre pour leur rendre justice et faire changer les choses.

Une passionnante histoire, qui s’inspire de faits réels, et met au jour différents scandales sur des abus en matière de santé publique, dans un système basé sur la confiance qui profite de la pauvreté et de l’analphabétisme de leurs patients pour mener des études ou des pratiques immorales sous couvert de soins…

La carte postale, Anne Berest

Dix ans après que sa famille ait reçu une mystérieuse carte postale, ne comportant que les noms de ses ancêtres déportés lors de la seconde guerre mondiale, la narratrice se lance dans une enquête pour découvrir à la fois l’auteur de cette carte mais aussi les parcours de ses ancêtres.

Un récit qui nous offre une plongée dans l’histoire familiale de l’autrice, qui s’entremêle à la grande histoire, de leur fuite de la Russie dans les années 30, rattrapé par les horreurs de la seconde guerre mondiale, jusqu’au silence et la parole qui se libèrent enfin aujourd’hui.