Archives de catégorie : ♥ Coups de coeurs de Pryscilla ♥

Alfred n’aime pas la mode de André Bouchard

Alfred n’est pas un mouton comme les autres ! Parce que (vous aurez sans doute du mal à le croire) mais les moutons sont de vrais fashion victims prêts à tout pour suivre les dernières tendances, même si, comme cette année, il s’agit de se tondre la toison et de se balader sans poil en plein hiver… Bien mal avisés ceux qui en voulant faire une mauvaise blague à Alfred pour le faire coller au goût du jour lui tondent son beau lainage. Un brin revanchard mais plein de ressources, Alfred n’a pas dit son dernier mort : Jean-Paul Gautier et les influenceurs.ses ont intérêt à bien se tenir, Alfred est dans la place avec un concept complétement révolutionnaire !

On ne vous en dit pas plus…

Un album plein d’humour à lire et à relire dès 4 ans.

Mais où est-elle ? de Marie Migraine

Une perruque jaune s’envole et pour son propriétaire commence une quête aussi drôle que folle pour retrouver son bien. Ne serait-ce pas ce qu’il cherche là par terre ? Mais non ! Ce n’est qu’un chat, des algues, une serpillère, une bouse de vache ou un fromage coulant… Et lorsqu’il finit par remettre enfin la main dessus, un couple d’oiseaux dont les œufs ne vont pas tarder à éclore y a confortablement installé son nid. Il repart bredouille, chauve et heureux en laissant la petite famille confortablement blottie dans sa moumoute.

Un album aux illustrations originales qui joue sur la répétition de page en page d’une saynète bien rodée qui fera rire les petites et les petits.

À partir de 3 ans

Lightfall de Tim Probert

Si tu veux savoir comment Béa et son ami, Cad le Galdurien, vont affronter les crabes géants de la Vallée de Pince, traverser le Temple Maudit, manquer de peu de finir rôtis pour servir de repas à une bande de lézards affamés, sauver un Arsaï et combattre des monstres-tentacules… Lance-toi avec eux dans l’aventure “Lightfall” pour retrouver Grand-père cochon et sauver la planète des serres de l’impitoyable Oiseau Kest !
Une épopée fantastique qui ne laisse pas le temps de s’ennuyer à mettre entre toutes les mains dès 8/9 ans.
Deux tomes d’une BD pleine d’humour et d’aventures parus aux éditions Gallimard Jeunesse et disponibles à la librairie. Vivement le tome 3 pour mettre fin au terrible suspense dans lequel nous laisse les dernières pages de “La dernière flamme” !

En salle de Claire Baglin

Dans un menu enfant, on trouve un burger bien emballé, des frites, une boisson, des sauces, un jouet, le rêve. Et puis, quelques années plus tard, on prépare les commandes au drive, on passe le chiffon sur les tables, on obéit aux manageurs : on travaille au fastfood.

De l’excitation enfantine devant les menus ultra colorés d’un fast-food à la terrible réalité de l’exploitation subie par ces enfants de familles modestes, devenus “grands” et employés dans ces antres de la malbouffe pour payer leurs études.

Claire Baglin livre un récit en deux temps. D’une part, une enfance à attendre un père ouvrier soumis à des horaires éreintants pour gagner de quoi subvenir aux besoins de sa famille et leur offrir, de petites économies en chèques vacances “grassement” distribués par l’entreprise qui l’emploie, des vacances au camping dont l’apogée est ce très attendu repas au fast-food. De l’autre, devenue jeune adulte, sa propre expérience du monde du travail dans ces chaines de restauration aux pratiques aussi indigestes que leurs burgers à la composition douteuse.

La soumission des corps et des esprits, la dépersonnalisation qui fait des travailleuses et des travailleurs des pions anonymes en quête de reconnaissance, la pression incessante pour toujours davantage de productivité sans se soucier de la sécurité de celles et ceux qui triment, là sont les points communs qui relient père et fille à 10 ans d’intervalle tous deux écrasés par une logique économique inhumaine.

Leurs mains, souillées par la graisse des machines, agressées jusqu’à y laisser la peau par les détergents, brûlées et aux doigts coupés ne sont jamais victimes mais toujours fautives. Ne jamais lâcher, devoir accepter de s’écraser et de jouer des coudes pour grappiller un poste à peine moins ingrat, elle n’est pas réjouissante la projection du “nous vivrons mieux que nos parents” à la sauce 2022.

Révoltant de réalisme, “En salle” est le premier livre de Claire Baglin, publié aux éditions de Minuit.

La Bigaille, histoire d’une utopie culturelle collective de Thibaut Lambert

On en revient toujours à la même chose. Mettre de côté l’égo et l’individualisme au profit d’un collectif.

Cela ne veut pas dire qu’il faut fermer sa gueule. Mais laisser une place à tout le monde. (…)

La belle histoire de “La Bigaille”, bar culturel et associatif à Marennes en Charente-Maritime ou comment un groupe de citoyens.nes en mal de culture et de vivre ensemble a pris les choses en main pour redynamiser leur petit coin de verdure. Mode d’emploi à l’usage de celles et ceux qui voudraient se lancer, retour d’expérience et surtout, récit d’une belle aventure commune rendue possible par l’engagement de chacune et chacun pour le bien-être de toutes et tous.

Aux éditions Des ronds dans l’O.

La sauvagière de Corinne Morel Darleux

Posée sans envie dans une vie moderne et citadine, irritée par le bruit incessant du monde et des gens, effrayée par sa propre douleur, elle ne trouve pas sa place dans cette “normalité”. Conduire sa moto pour échapper à son malaise permanent est le petit souffle de liberté qui apaise sur l’instant ses angoisses, c’est aussi ce qui va la propulser tête la première sur l’asphalte. Lorsqu’elle ouvre les yeux dans une tanière de plaids et de couvertures, son regard a bien du mal a accroché l’extérieur de la maison forestière. Autour d’elle, Jeanne et Stella, mais aussi le jardin, le verger, la montagne et la nature imperturbable.

Elle s’installe doucement dans ce quotidien frugal rythmé par les saisons, chaque geste choisi, dicté par l’approche de l’hiver et la nécessité de s’y préparer. Une sororité sans mot unit les trois femmes dans une atmosphère étrange. Mais un matin, elle se réveille dans une maison vide. Du rêve à la folie pour échapper aux appels du réel qui la poursuivent, guidée par une kistune sage et bienveillante, elle va devoir apprendre à apprivoiser ses peurs pour arrêter de fuir.

Fable fantastique et critique sociale, un plaidoyer en faveur d’une vie qui renouerait avec une autonomie matérielle et politique et qui réenchanterait le collectif face à une société individualiste qui s’autodigère à force de croissance et de surabondance de technologies.

Un coup de cœur pour ce premier roman pour adulte de Corinne Morel Darleux, déjà autrice d’ouvrages pour la jeunesse et d’un essai aux éditions Libertalia, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce.

https://www.editionslibertalia.com/catalogue/la-petite-litteraire/corinne-morel-darleux-plutot-couler-en-beaute

Le blog de Corinne Morel Darleux : https://revoirleslucioles.org/

Le Pion de Paco Cerdà

La force d’un pion : le sacrifice communautaire pour saper la structure adversaire.

Stockholm, 1962. La partie d’échecs qui oppose Arturo Pomar à Bobby Fischer. Sur l’épaule de l’enfant prodige espagnol la main de fer du Caudillo et dans l’attitude de l’américain toute la morgue affichée par les États-Unis dans cette période de guerre froide. Si les deux hommes face à face, simples pions entre les mains des puissants s’affrontent sur l’échiquier, la technique et la stratégie importent moins que la portée symbolique de leur duel, puissant reflet de deux visions du monde qui s’entrechoquent.

(…) Que sont les échecs ? Réponse de Boris Spassky : Les échecs, c’est comme la vie. Réponse de Bobby Fischer : Les échecs, c’est la vie.

Une fiction en 77 mouvements comme autant de coups qui ont jalonné cette partie. Aux portraits des grands noms des échecs se mêlent ceux des femmes et des hommes sacrifiés sur l’autel des enjeux géopolitiques de la seconde moitié du 20ème siècle. Communistes, maquisards, ouvriers, socialistes, membres de l’ETA, chrétiens, républicains, étudiants, phalangistes, Afro-américains, pacifistes, indigènes, militants antinucléaires, gauchistes ou militaires dénués de libre arbitre, celles et ceux dont l’histoire a retenu le nom et les nombreuses et nombreux oubliés, toutes et tous instrumentalisés aux fins très personnelles des grands de ce monde et jouets malgré eux de la force de leur engagement.

La liberté du pion, blanc ou noir, se heurte toujours aux limites des 64 cases de l’échiquier…

Journaliste et éditeur, Paco Cerdà est l’auteur d’un précédent ouvrage en 2017, Los ultimos traduit en France sous le titre Les Quichottes également aux éditions de la Contre Allée.

Le Principe de réalité ouzbek de Thiphaine Le Gall

Madame,

J’ai bien reçu votre lettre datée du 5 avril m’informant que ma candidature au poste de professeur de français et de philosophie au lycée de Tachkent (Ouzbékistan), en dépit de ses nombreuses qualités, n’avait pas été retenue. J’ai pris acte de vos regrets et de votre respect profond. Je suis cependant moi-même au regret le plus sincère de vous informer que je ne peux accepter votre refus. Ma décision est irrémédiable : je prendrai le poste, il faut que vous en soyez convaincue.

Exprimer sans conteste la nécessité impérieuse du refus du refus dans une unique lettre qui semble jetée sur le papier comme une bouteille à la mer.
Elle est au pied du mur et c’est une question de (sur)vie.
Elle est professeure de français et de philosophie, mariée ou presque à Mathias et mère de deux enfants, la réalité de la vie telle qu’on la conçoit “généralement”. Et il y a cette autre femme, celle qui cherche dans un quotidien difficilement à la hauteur du fantasme, à brouiller les pistes entre la confrontation au réel et la puissance de l’imagination.
Elle n’est pas de celles qui supportent la demie teinte. Passionnée comme celles qui ne savent pas faire autrement, qu’il s’agisse d’amour ou de littérature, et prête à tout pour une vie à la hauteur de l’intensité de son roman intérieur. Parce que, soyons tout de suite d’accord, le principe de réalité ne fait pas le poids quand il est question d’amour et de littérature.
Cette introspection profonde, entrecoupée des digressions sur le monde qui l’entoure de cette trentenaire qui ne veut plus retenir ses coups, prend la forme d’une confession franche, intime et puissante et pose un regard brûlant sur le sentiment amoureux et les tourments qui lui vont si bien.
Une lecture comme une soirée à écouter une amie vider son sac autour d’un verre de vin. Une soirée de celles qui viennent forcément titiller nos propres ressentis et petits arrangements entre ce que nous faisons de nos vies et ce que nous voulons en faire.

Je ne veux plus subir, vous comprenez ?

Le deuxième roman publié de Thiphaine Le Gall à paraître le 18 août 2022 aux éditions La manufacture de livres. Une incontestable pépite et une écriture aussi fluide que magnétique.

Arpenter la nuit de Leila Mottley

Dans cet immeuble d’East Oakland, on ne voit pas davantage le fond de la piscine saturée de déchets que la possibilité de se sortir de cette vie de galères. Elle a seulement dix-sept ans, Kiara, et pas grand chose ne lui a pourtant été épargné. Avec un père réduit en cendres, une mère derrière les barreaux et un oncle qui a préféré les abandonner à leur sort plutôt que de se confronter au réel d’une situation déjà bien sombre, elle et son frère, Marcus, n’ont pas eu d’autre choix que d’essayer de survivre aux milieux des décombres.

Les factures s’empilent, le frigo est désespérément vide et le propriétaire de l’immeuble, aussi douteux que la couleur de l’eau de sa piscine, cogne à la porte pour récupérer l’argent du loyer. Kiara a grandi avec cette idée chevillée au corps que c’est son devoir de femme noire de protéger les hommes qui l’entourent, se débrouille pour trouver du boulot et joindre les deux bouts pendant que Marcus rêve d’argent et de célébrité, en rappant avec ses amis un micro à la main.

Une soirée dans un bar et la situation dérape. L’homme blanc qui lui colle deux billets de cent dollars dans les mains en remontant sa braguette est sûr de lui, du droit de se servir du corps de Kiara contre de l’argent en se foutant pas mal de son âge et de l’alcool qui lui remue l’estomac. Kia se retrouve plongée dans l’engrenage des nuits à arpenter le trottoir contre à peine de quoi affronter le lendemain et le soir où une voiture de patrouille s’arrête à sa hauteur, elle est encore loin d’imaginer que la descente aux enfers ne fait que commencer.

Leila Mottley signe un premier roman virtuose. Cette jeune autrice californienne, âgée de dix-sept ans lorsqu’elle écrit “Arpenter la nuit”, balance une série d’uppercuts sans retenir ses coups. Si elle s’inspire d’un scandale qui a secoué la communauté d’Oakland et de San Francisco en 2015 en mettant en cause des membres de la police soupçonnés d’avoir essayé d’étouffer une affaire d’exploitation sexuelle concernant des jeunes femmes, elle ne se contente pas de romancer un fait divers. Elle empoigne à pleines mains la réalité de la société américaine pour en dénoncer les injustices criantes qui touchent les femmes noires et plus généralement toutes les communautés considérées comme marginales par une partie de la classe blanche et de ses représentants. Et le constat est sans appel : ce n’est pas de la justice qu’il faut attendre réparation. Celles et ceux qui ne sont pas nés au bon endroit et luttent depuis toujours pour un coin de ciel bleu n’ont pas d’autre choix que de continuer d’espérer voir le bout du tunnel. Pour Kiara, ça sera peut-être, s’accrocher à l’amour de son amie Alé et à celui de Trevor qui, du haut de ses neuf ans avec son ballon dans les bras, la regarde avec encore un peu de cette innocence enfantine bien trop tôt envolée pour elle…

Un très grand coup de cœur. En librairie le 17 août 2022, dans la superbe collection “Terres d’Amériques” aux éditions Albin Michel.

Zizi cabane de Bérengère Cournut

C’est étrange comme, parfois, “rien” a l’air d’être quelqu’un

Odile, la mère disparaît et c’est tout un monde que Ferment, son mari, et Béguin, Chiffon et la jeune Zizi Cabane, leurs enfants, vont devoir arpenter autrement. La nature s’en mêle, l’eau se met à ruisseler à travers la maison et le souffle du vent semble porter une voix. Une lutte contre les éléments, métaphore de ce qui les meut intérieurement, s’engage pour chacun d’entre eux, chacun la sienne et chacun avec ses propres outils, mais peuvent-ils réellement endiguer le cours d’un ruisseau et faire taire le vent ? Sans doute pas davantage qu’ils ne peuvent couper court au flot des sentiments qui s’empare d’eux et par lequel il leur faudra se laisser porter.

Mais peu à peu, la douce présence de Jeanne, la sœur d’Odile, à leurs côtés et l’arrivée impromptue de Marcel Tremble, grand-père auto-proclamé plein d’humour et d’amour dans leur vie, viennent esquisser un nouveau chemin pour la tendresse… Des kilomètres de sentiers sous les pieds, des chutes de tissu en forme de collines, des rencontres et c’est la vie qui va se charger de leur botter les fesses pour reprendre son cours.

Les lectrices et les lecteurs assidus de Bérengère Cournut tendront sans doute un pont entre “Élise sur les chemins” et “Zizi Cabane”… Une forme de fascination pour le caractère rebelle que les rivières, les reliefs et Elisé Reclus ont en partage traverse ses deux derniers livres… Et Bérengère Cournut n’a pas terminé de nous étonner, chaque texte est un nouveau voyage dans lequel plonger ouvre une brèche poétique et onirique dans le réel. L’indomptable et tout ce qui échappe au contrôle de la main et de l’esprit des hommes vient envelopper les personnages du roman comme un baume sur leurs maux. Comment la paix retrouve, vaille que vaille, le chemin des cœurs de celles et ceux qui sont frappés par le deuil, il est peut-être là le beau message porté par ses mots.

Un roman doux et lumineux.

En librairie le 18 août 2022.