Archives de catégorie : ♥ Coups de coeurs de Pryscilla ♥

“Lettres à Clipperton”, Irma Pelatan

Je vois que vous tous rêvent, répondent encore et encore à vos sirènes. Mais je vois aussi que chacun dialogue avec un Clipperton qui n’est pas celui de l’autre. Au fond, chacun d’eux est seul sur son île. Et l’île est tellement d’îles.”

Objet littéraire qui éveille la curiosité et clin d’œil à l’oulipien, Jacques Jouet, ce texte est un grand voyage immobile, empreint de la violence des hommes et pourtant profondément poétique.Des lettres adressées à son “Cher ami”, hypothétique être vivant sur cette île du bout du monde ou peut-être à l’île elle-même, déroulent vie et mort de ce bout de rocher aussi inhospitalier que convoité et de ceux qui l’ont, chacun à leur façon, approché.

Je vous sens dubitatif et c’est dommage, parce que la magie opère dès les premières lignes. Celle des histoires à l’intérieur de l’Histoire dans lesquelles se baladent Jack Torrance, Victoriano Alvarez, Barbara Pompili et le commandant Coustaud et celle de l’écriture de l’autrice, qui embarque le lecteur comme le mouvement des vagues un petit caillou…

Quel art admirable que l’écriture : il ne demande presque aucun moyen, juste le fol espoir de la destination.”

Une pépite aux Editions La Contre Allée

Je suis un génie de Susie Morgenstern

C’est Susie qui a dit qu’il l’a dit, alors on n’a pas de raison de ne pas y croire !

Mon chéri Shel Silverstein m’encourage :
– Fais un dessin fou
écris un poème loufoque
chante une chanson cucul
siffle un soliloque
danse comme un derviche
à travers le plancher de ta niche
mets quelque chose de frivole au monde
qui n’était pas là avant. –

Méthode de “génialogie” quotidienne, répertoire subjectif de ses propres génies et manifeste à l’usage de ceux qui doutent de leur talent. Un petit texte de la grande Susie Morgenstern qui fera du bien au moral de tous les génies qui s’ignoraient encore avant cette lecture.

L’Iconopop, saison 4

Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna

L’underground pragois face au stalinisme. La lettre d’une femme provocatrice, féministe, indépendante et absolument amoureuse à son amant. À lire, pour ceux qui ne connaissent pas l’autrice, à la lumière de la préface de Anna Rizzello. Un contexte qui compte… Ce qui n’enlève rien à l’intemporalité du propos mais souligne son caractère résolument avant-gardiste.

À celles et ceux que l’adjectif “raisonnable” – appliqué à la création, à l’amour, au désir, au sexe – fera toujours frémir.
À celles et ceux qui démolissent résolument les barrières entre les chemins qu’emprunte leur envie de l’autre.
Et aux autres… Parce qu’un brin d’anti-conformisme ne fait pas de mal, je crois.
Un texte beau et brûlant, comme un orgasme intensément impudique qui abolit toutes frontières entre ventre et tête.

Au poil de Sophie Adriansen

Plus j’y réfléchis, plus tout m’amène à cette conclusion : s’enlever tous les mois des poils qui repousseront de toute façon, ça ne sert à rien. Je fais un rapide calcul : une heure chez l’esthéticienne chaque mois pendant… disons, soixante ans, en partant du principe que quand j’aurai soixante-quinze ans je n’en aurais plus rien à fiche de mes jambes, ça fait sept cent vingt heures. ce qui correspond à trente jours ! Un mois complet d’une vie passé à se faire arracher des poils ! Qui peut réellement décider de sacrifier autant de temps à ça ?

Un chouette roman jeunesse pour se donner le choix de dire halte à la dictature anti-poils aux pattes, sous les bras ou qui dépassent des bords de la culotte ou du nez 😉

Et une belle collection de 4 titres déjà parus à découvrir aux éditions Magnard Jeunesse à lire et/ou à écouter.

https://www.magnard.fr/collection/la-breve

Plus de likes que d’amour de Dorian Masson

“Sur les draps noirs

ton soutien-gorge Blanc

Comme j’aimerais que tu le remettes

Pour te l’enlever

Encore

Pour ou contre les soutien-gorges, peu importe.

En revanche, je parie que vous serez entièrement pour ce texte. Un vrai crève-cœur de n’en relever que quelques lignes pour titiller votre curiosité et ne pas déflorer tout le livre.

À chaque page, la magie opère qu’elle vous serre les entrailles ou vous colle le sourire… À l’heure du numérique, des trucs qui vont vite, des gens qui s’éloignent les uns des autres, ça fait du bien de parler d’amour/des amours avec des hauts, des bas et même des travers : la vie, quoi !

Une petite pépite dans l’une de nos collections favorites, “L’iconopop”.

Et pour suivre l’auteur sur Instagram, c’est par ici

https://www.instagram.com/n0zam/

Bel Abîme de Yamen Manai

“Vous savez, la tête, c’est une cheminée, la vie un long hiver et les souvenirs et les livres, des morceaux de bois.
(…)
Dans ce monde de façades, ce qu’il y a de plus précieux est ce qui coûte le moins. Un livre, une étreinte, et l’amour, l’amour, ne serait-ce que celui d’un chien.

Tunisie, après ce printemps qui n’amènera que du vent à celles et ceux qui ont eu de l’espoir.

Le monologue d’un adolescent d’une quinzaine d’années, adressé alternativement à l’avocat commis d’office et au psychologue judiciaire, qui déroule le récit d’un avenir dos au mur dans un pays rongé par le désespoir et la misère.

Lorsque la violence et le mépris harcèlent de toutes parts et sont les seuls horizons, les seuls modèles et héritages, peut-on honnêtement parler de choix ? ne serait-ce que d’une possibilité de faire autrement ?
Comment faire lorsqu’on vous retire la seule petite lumière, apparue au milieu de cet enfer, qui laissait enfin croire qu’autre chose était possible ?
Quand il n’y a rien, nulle part et jamais, qui peut croire que la colère est injustifiée ?

Un texte court, fort et tristement réaliste sur la Tunisie d’aujourd’hui et ce qu’il reste de sa “révolution”.

Notre guerre contre le sexisme ordinaire de Kev Sherry, Helen Mullane et Katia Vecchio

Réagir face à l’intimidation et au harcèlement, ça s’apprend…

Le portrait de cette violence “ordinaire” à travers les histoires d’un groupe de jeunes lycéennes et lycéens. Qu’elles et ils soient victimes ou bourreaux, personne n’en sortira indemne et les répercussions de leurs choix d’ado marqueront irrémédiablement les adultes qu’elles et ils deviendront.

Pas de virtuel dans ses pages, personne ne se cache derrière un écran et les face à face entre jeunes n’en sont que plus percutants tant pour eux-mêmes que pour les lecteurs que nous sommes.

Une BD qui ne mâche pas ses mots et souligne la nécessité d’en parler et de parler avec nos ados…

Dès 15 ans.

Le musée des contradictions de Antoine Wauters

(…) Nous sommes les hommes creux, nous avons besoin de preuves. Fracturés, schizophrènes sous nos manteaux de pluie, nous ne savons plus où donner de la tête. Trop de réalités, d’avis, de détails, et en même temps plus rien, comme si tout était vide.La génération qui veut se battre, qui devrait trouver du boulot, sauf qu’il n’y en a plus, qui veut décroître, quitter le monde de l’argent mais ne pas en manquer, la génération des constructeurs de cabanes pourtant incapables d’utiliser le marteau sans se ficher le clou dans le doigt.

D’où notre stupeur.

Peut-on tenir encore ? Non. Tiendra-t-on ? Oui. Car nous sommes les champions de la contradiction, nos vies entières sont des contradictions. (…)”

Un recueil de nouvelles qui enchainent des “discours” posés le cul entre deux chaises parce que les êtres humains sont “comme ça”, complexes et plein de contradictions.

Est ce que c’est un problème ? Ben non, vivre avec ses contradictions n’empêche pas d’agir et de faire du mieux qu’on peut avec ce qu’on a.

On peut rassurer, avec cette lecture, ceux qui se sentent imparfaits et imposteurs, ceux qui dérogent à leurs propres principes, ceux qui culpabilisent, vous n’êtes pas “pas à la hauteur” mais juste humains.

N’hésitez pas à continuer de faire de votre mieux malgré tout pourrait être le message de ce livre poétique empreint de bienveillance à l’égard d’une humanité qui doute.

Demi ciel de Joël Casséus

Non, non, nous sommes bien peu de choses.

Ils ne sont pas de ceux qui sont nés du bon côté du ciel. Péniblement, ils s’échinent sous la menace d’une guerre qui gronde au loin, dans la peur des milices qui rôdent et inlassablement, ils creusent le sol…

Sans nom, tapis dans des wagons, leurs regards qui ne portent pas plus loin que le mur, horizon fermé devant eux, il sont ceux avec lesquels l’espoir ne cesse de jouer. D’une voix propre à chacun, ils disent cette existence subie et soumise. La vie, c’est pour les autres, de l’autre côté du ciel.

Reflet métaphorique de ce monde violent et inégalitaire qui est le notre, un texte, beau et déchirant, qui pioche dans les pages sombres de notre mémoire collective.

Border de Jacques Houssay

J’aime chaque grain de poussière de cette terre que je maudis. Je suis cette terre sur laquelle je crache et qui a accueilli nos cris et nos silences, le corps des êtres aimés dans des rectangles profonds et froids, les roues qui dévalaient la pente vers ces profondeurs putrides dont nous sommes issus. Il ne sert à rien de fuir. Il n’est pas certain que je sois fou. (…)

J’aime ceux qui doutent, ceux qui ne sont pas frappés par l’évidence du bien fondé d’être là et de savoir y vivre. Seuls les vrais écorchés de la vie sont foutus de poser un regard attentif et tendre sur la merde comme, parfois, sur la beauté du monde et des gens.

Jacques Houssay, il le fait superbement, avec cette écriture à la poésie crue et magnétique qui vous laisse un peu ébouriffés à chaque fin de phrase.
Il vous faudra du café, je pense…