Archives par mot-clé : Roman

L’école des soignantes, de Martin Winckler

Coup de cœur d’Elodie

« Comme toutes les soignantes – et sans doute encore plus parce que j’étais un homme – j’étais arrivé en Psycho avec des préjugés silencieux, insensibles, insoupçonnés… Chez les folles j’ai compris que la folie, c’est tout relatif.« 

Un roman profondément humain, qui présente une utopie médicale visant à changer le petit monde des facs et centres hospitaliers, repensés en plaçant les soignées au cœur des démarches de soins et en formant les soignantes à l’humilité.

La terre demeure, de Georges R. Stewart

Coup de cœur de Pryscilla

Ish survit à une mystérieuse pandémie qui frappe la population. Jusqu’alors seul dans les montagnes, il découvre la disparition de la civilisation sans rien avoir vu des événements qui en sont à l’origine. Hébété et incrédule, il se lance sur les routes des États-Unis, de la Californie jusqu’à New-York, et son périple chaotique est prétexte aux premières observations. Il n’est pas le seul survivant et c’est en rebroussant chemin qu’il prendra la tête d’une petite communauté de rescapés.

La trame du roman ressemble à tant d’autres dans le registre de la fiction post-apocalyptique qu’on pourrait penser que cette œuvre de George R. Stewart n’a rien d’original, ce serait réducteur.

Le roman publié en 1949 (contemporain de 1984) est une réflexion d’une modernité terrifiante sur l’humanité et sa fin. Croissance exponentielle de la population et consommation irraisonnée des ressources sont déjà au cœur des interrogations de l’auteur. La place de la femme dans la société, celle des « Noirs, » l’opposition entre intellectuel et manuel, tout y passe et force est de constater qu’en 70 ans rien n’a franchement changé.

Le monde animal reprend ses droits dans des paysages redevenus sauvages et la désurbanisation est à l’œuvre, que reste t-il des « Américains » ? Des livres que plus personnes ne sait lire et dont les contenus ne sauront servir de point de départ à une nouvelle humanité… des vestiges d’une société disparue que les survivants « consomment » sans chercher à en percer les secrets… des bribes éparses de religions et de superstitions… une langue dont la majorité des mots ne font plus sens… Attentistes, partisans du moindre effort, voilà ce que nous dit Stewart de « ces hommes d’après », réjouissant !

Georges R. Stewart (1895-1980), spécialiste de toponymie et professeur d’anglais, est l’auteur de 27 ouvrages de fiction, toponymie, anthropologie et histoire américaine.

« Peut-être étaient-ils trop nombreux, les êtres humains, les vieux systèmes de pensées, les livres. Peut-être les ornières de la pensée étaient-elles devenues trop profondes et les restes du passé étaient-ils trop encombrants, comme des tas d’ordures ou des vieux vêtements. Pourquoi le philosophe ne se réjouirait-il pas de voir tout effacé d’un coup d’éponge ? Alors les hommes repartiraient de zéro et joueraient le jeu avec de nouvelles règles. Qui sait si le gain ne serait pas plus grand que la perte ? »

Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon

Coup de cœur d’Élodie

André est le fils de Gabrielle, mère lointaine et intermittente, avec ses silences et ses grands airs, et de Paul, père fantôme dont il apprendra tardivement l’existence. Mais il y a sa tante Hélène, qui l’a élevé comme un fils avec son mari Léon, et les cousines comme des sœurs, puis Juliette et Antoine.

Le récit déroule, en douceur et par petites touches, les moments forts de cette famille ancrée entre Lot et Cantal, ses bonheurs comme ses silences pesants.

Suzuran, d’Aki Shimazaki

Coup de cœur d’Élodie

Depuis son divorce, Anzu se consacre à son art de la céramique. Elle mène une vie apaisée entre son fils, son ex-mari, ses parents vieillissants, jusqu’à ce que sa sœur aînée revienne leur présenter son futur beau-frère.

Un roman plein de poésie, de douceur et de délicatesse à l’image de la fleur qui lui donne son nom : Suzuran, le muguet, évoque ces boules à neige abritant de minuscules paysages : il suffit de les secouer pour que se lève la tempête…

Fin de saison, de Thomas Vinau

Coup de cœur de Pryscilla

« Qu’est-ce qui nous tient quand tout s’écroule ? »

Il existe des gens auprès desquels on se dit qu’on aurait toutes les chances de survivre à la fin du monde, Victor, n’en fait pas partie. Loser magnifique, fainéant jusqu’à l’art d’en vivre, bricoleur picoleur du quotidien, cet anti-héros ne nous vend pas du rêve. Reclus dans sa cave alors que les éléments se déchaînent, coincé entre la cuve à fioul et les cartons prêts pour le prochain vide grenier, avec pour seuls compagnons d’infortune un chien et Cono le lapin, ses chances d’être celui qui sauvera le monde et ses proches sont minces.

Dans ce roman où l’humour noir et l’ironie côtoient la poésie qui le caractérise, Thomas Vinau, nous livre les états d’âmes et réflexions d’un « monsieur tout le monde » confronté à l’effondrement. Évidemment, on s’y retrouve ! On aimerait pouvoir se convaincre que dans la même situation, on serait de ceux qui prennent les choses en main. Mais, il y a fort à parier qu’à l’image de Victor, bon nombre choisirait la gnôle et les conserves de grattons de canard.

Auteur génialement protéiforme, (romans, nouvelles, jeunesse et poésie entre autres) Thomas Vinau n’en finit pas de nous étonner. Ne passez pas à côté de ce livre, lucide contre pied à notre époque dopée à l’efficacité et aux résultats, vous sourirez, vous rirez et, même, vous réfléchirez !

Aux lecteurs charmés, à ceux qui ne le connaîtraient pas encore, à tous, le magnifique « Ici ça va » du même auteur est disponible aux éditions 10/18.

« Mais non monsieur, tu veux te plaindre, tac tac, on te fout une fin du monde. T’auras des bonnes raisons de chialer comme ça. Ah tu crois que le temps qui passe est une saloperie ? Tu vas voir qu’il y a pire mon cochon. Bien pire. »

Le blog de l’auteur, c’est ici : http://etc-iste.blogspot.com/

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre, de Julien Dufresne-Lamy

Dans la salle d’hôpital, Charlie et sa mère attendent. Un père, un mari. Dans quatre heures, ils découvriront Alice. Alors que les minutes s’égrainent, Charlie se remémore les deux dernières années, depuis le séisme qui a secoué sa famille avec l’annonce du père jusqu’à cette opération, en passant par tous les tremblements qui ont accompagnés le parcours de transition de son père.

Un roman sensible et juste, sur la transidentité vu par les proches, entre interrogations et acceptation, plein d’amour d’un fils pour son père.

Chavirer, de Lola Lafon

Coup de cœur de Pryscilla

1984. Les cours de danse à la MJC de Fontenay, Cléo, 13 ans, y consacre toute son énergie. Lorsque la très élégante Cathy la repère parmi toutes et lui fait miroiter la possibilité d’une bourse de la fondation Galatée pour réaliser son rêve, la petite fille est pleine de fierté. Des cadeaux, de l’argent, un milieu cultivé et raffiné jusqu’au déjeuner avec les membres du « jury » durant lequel elle devra faire preuve de « maturité ».

« Les doigts comme des insectes agacés (…), il suffisait de se tenir parfaitement immobile.»

Le conte de fées tourne au cauchemar, Cléo n’est pas choisie mais peut-être pourra t-elle retenter sa chance l’an prochain ? et en attendant, elle pourrait aider d’autres jeunes filles à obtenir la bourse en les présentant à Cathy… Le piège se referme et, pour ne pas déplaire, pour continuer à croire que le rêve est possible, Cléo endosse le terrible double rôle de victime et bourreau.

Ce qu’il se passe dans les 30 années qui suivront, ce sont ceux qui croiseront la vie de Cléo qui nous le raconteront. Yonasz, Lara, Nico et les autres rassemblent les bribes de sa personnalité et de son parcours, de la MJC aux paillettes des shows télévisés, des espoirs déçus aux moments plus doux, jusqu’à l’explosion du mouvement « me too ». Un projet de documentaire, des langues qui se délient difficilement et tout ce que chacune avait tenté d’enterrer revient enfin en lumière.

Un texte fort et pudique sur cette délicate question des réseaux pédophiles. Ce serait cependant réducteur de s’en tenir là… La danse et ses souffrances, la culture populaire des années 1980 et 1990, Derrida et Goldman en exergue du roman, les questions de la culpabilité, du pardon, de l’oubli, qui jalonnent la vie de ceux et celles « qui sont passés par là ».

Maille à maille, de Simone Righetti

La mémoire de Sarah est comme les tricots qui naissent sous ses doigts : elle essaie de rassembler les mailles et de combler les trous. Elle ignore qui elle était avant d’être arrachée à ses parents aux portes d’Auschwitz, recueillie par un officier SS pour servir de poupée vivante à sa fille handicapée…

Un court récit qui nous emporte dans les pensées contradictoires d’une femme qui s’est construite entre maltraitance et affection pour ses bourreaux qui constituent, malgré tout, sa seule famille.

Impossible, Erri de Luca

En pleine randonnée, un homme en voit un autre chuter au fond d’une ravine. Il prévient les secours et se voit arrêté puis interrogé : les deux hommes se connaissaient et le magistrat est bien déterminé à ne pas croire au hasard. L’homme de loi remonte dans un passé révolutionnaire qu’il n’a pas connu et l’interrogatoire se mue en un dialogue entre deux hommes opposés et deux générations.

Ce nouveau roman nous plonge dans l’immensité de la montagne où les lois ordinaires n’ont pas cours, et dans la complexité d’une histoire pas totalement révolue, avec ses secrets et ses trahisons.

L’autre moitié de soi, de Brit Bennett

Les jumelles Désirée et Stella grandissent inséparables dans une petite bourgade de Mallard, où les noirs tentent de devenir plus blancs à chaque génération. A l’adolescence, elles fuguent. Quelques années plus tard, Désirée revient sans sa sœur et avec une petite fille à la peau d’ébène.

Des années 60 aux années 80, le récit donne la parole aux femmes de cette famille en déroulant leur histoire et les multiples vies de chacune et en abordant les thèmes universels du racisme, de la violence familiale, de la vie domestique ou encore du conservatisme.