Archives par mot-clé : Roman

Border de Jacques Houssay

« J’aime chaque grain de poussière de cette terre que je maudis. Je suis cette terre sur laquelle je crache et qui a accueilli nos cris et nos silences, le corps des êtres aimés dans des rectangles profonds et froids, les roues qui dévalaient la pente vers ces profondeurs putrides dont nous sommes issus. Il ne sert à rien de fuir. Il n’est pas certain que je sois fou. (…)« 

J’aime ceux qui doutent, ceux qui ne sont pas frappés par l’évidence du bien fondé d’être là et de savoir y vivre. Seuls les vrais écorchés de la vie sont foutus de poser un regard attentif et tendre sur la merde comme, parfois, sur la beauté du monde et des gens.

Jacques Houssay, il le fait superbement, avec cette écriture à la poésie crue et magnétique qui vous laisse un peu ébouriffés à chaque fin de phrase.
Il vous faudra du café, je pense…

L’autre moitié du monde de Laurine Roux

« (…) ils ancrent l’utopie. C’est empirique, une révolution, fait de tout un tas de tentatives, d’échecs et d’accidents heureux. Surtout, ça s’arrose de rêve. »

Buriné par la chaleur du soleil et les embruns, le delta de l’Èbre en Espagne dans les années 1930.

C’est dans ces paysages que grandit Toya Vásquez Montalbán, enfant belle et sauvage au tempérament instinctivement rebelle. Et il y a de quoi le ressentir ce besoin de rébellion lorsque l’on voit sa mère, usée par son travail dans les cuisines du château, humiliée et violentée par le fils de l’impitoyable marquise et que l’on regarde son père rentrer à la nuit tombée, terrassé par la fatigue d’une vie de labeur passée dos courbé dans les rizières.

Les riches châtelains, grisés par leur certitude d’une impunité infiniment acquise et indifférents à la condition misérable des paysans qu’ils exploitent, sont bien à l’abri du besoin au sommet de la colline dans leur propriété fleurie et bien loin de tendre l’oreille lorsque les premiers murmures de l’insurrection se font entendre.

La mort, celle de trop, met le feu aux poudres et le petit peuple du delta jusqu’alors à genoux devant les puissants se relève et rejoint le destin de tout un pays. La suite de l’histoire restera un lourd secret au fond du cœur de Toya jusqu’à ce que l’arrivée au village de la jeune Luz ravive les mémoires et délie les langues. L’heure est à la parole et à une (juste) vengeance.

« Une histoire d’amour, de haine et de mort » nous dit la quatrième de couverture.

Plongez et vous y rencontrerez aussi des fantômes qui mangent des fleurs fraîches au bord des routes, des anguilles qui retournent là où elles sont nées, de l’espoir qui jute comme une pastèque en été et un homme qui dit à une femme : « Tú eres la otra mitad del mundo »…

Une pépite avec laquelle l’auteure nous livre une nouvelle facette de son talent d’écrivaine avec un roman ancré dans la réalité historique. Laurine roux se saisit des pages à la fois les plus sombres et les plus emplies d’espoir de l’Histoire espagnole et restitue avec force la lutte pour « la tierra y la libertad » fauchée dans son élan par les horreurs de la Guerre civile et le regard baissé d’une Europe pragmatiquement conservatrice.

Pour les inconditionnels de ses premiers romans qui auraient l’idée de ne pas l’attendre sur ce terrain, ravisez-vous et laissez-vous happer ! Laurine Roux est de celle qui n’écrive pas en rond sans se départir de cette plume magnétique que vous reconnaitrez.

Un immense coup de cœur.

Le sanctuaire paraîtra en poche aux éditions Folio le 3 février 2022

Le sanctuaire, de Laurine Roux

Une immense sensation de calme, de Laurine Roux

Le lac de nulle part, de Pete Fromm

Après deux ans sans nouvelles, Trig et Al sont invités par leur père pour une dernière expédition. Ils s’embarquent pour un mois de camping et de canoë sur les lacs canadiens, comme au bon vieux temps. Mais très vite l’aventure semble plus hasardeuse qu’il n’y parait, surtout avec l’approche du froid en ce mois de novembre. Entre plaisir de se retrouver et souvenirs qui remontent, le doute s’installe quant au véritable but de leur périple.

Un roman au suspens croissant avec des personnages rattrapés par leur passé et les non-dits au milieu d’une nature aussi majestueuse qu’impitoyable.

Le poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin

Suite à un accident, le narrateur, blessé, contemple le monde depuis son lit. Dehors, la neige tombe et la vie s’organise comme elle peut depuis la grande panne d’électricité. « Je suis toujours étendu là et je regarde les journées se donner le relais en espérant que mes jambes pourront me porter de nouveau, un jour. En attendant, Matthias me soigne et me nourrit. Je sais qu’il n’a pas vraiment le choix. Nous sommes prisonniers l’un de l’autre. »

Un huis-clos qui nous emporte dans ce tête à tête contraint entre deux hommes alors que la neige s’accumule, le froid paralysant s’installe, les tensions montent…

Tant que le café est encore chaud, de Toshikazu Kawaguchi

Au cœur de Tokyo se niche en étrange petit établissement doté d’une curieuse particularité : le temps d’un café, on peut remonter le temps. Mais il y a des règles strictes à respecter. Plusieurs personnes vont vouloir s’y risquer, chacune avec ses raisons de vouloir revoir un être cher, même sans pouvoir changer le présent.

Un joli roman plein de douceur qui nous invite à savourer le présent tel qu’il est.

« En fin de compte, qu’on aille dans le passé ou dans le futur, le présent ne change pas... Cette chaise ne change peut-être pas le présent, mais si elle change le cœur des hommes, c’est qu’elle a sûrement une signification importante…« 

Numero deux, David Foenkinos

La vie de Martin a basculé le jour où il n’a pas été choisi. Il grandit avec ce traumatisme d’être resté le numéro deux, incapable de surmonter cet échec et renvoyé en permanence au succès qui aurait pu être le sien. Car il a failli incarner Harry Potter.

Un roman plein de fantaisie qui raconte l’histoire d’un homme qui grandit en croyant être passé à côté de sa vie, soumis à la dictature du bonheur des autres, et essaie de la reprendre en main.

L’île aux arbres disparus, d’Elif Shafak

Ada a grandit en ignorant tout du passé familial jusqu’au jour où débarque sa tante Meryem. Celle ci va alors lui raconter l’histoire complexe de ses parents, l’une turque et l’autre grec dans une Chypre déchirée par la guerre civile.

Un roman sensible où histoire d’amour impossible et secrets de famille nous plonge dans l’histoire chypriote.

« Les générations suivantes commençaient‑elles inéluctablement là où leurs devancières avaient renoncé, absorbant toutes leurs déceptions et leurs rêves inassouvis ?« 

La patience des traces, Jeanne Benameur

Un matin, Simon brise la tasse dans laquelle il boit tous les jours son premier café. Un accident banal qui va ouvrir une brèche en lui. Ce psychologue qui a consacré sa vie à écouter les autres se retire au Japon. Un voyage qui lui ouvre un autre chemin pour voir sa propre histoire, décider de la suite.

Un roman plein de douceur aux côtés d’un homme qui cherche à se réconcilier avec son passé et à l’accepter et qui va trouver la paix sur cette île reculée aux traditions ancestrales et notamment celle du kinstugi : on ne cherche pas à cacher la réparation. Au contraire, on l’a recouvre de laque d’or. On marque l’empreinte de la brisure. C’est une nouvelle vie qui commence.

Entrée en matière, d’Anis Mailhan


Marcel est physique, Irène est est chimie.
Elle voudrait comprendre la matière, la pénétrer. Elle voudrait s’en saisir, savoir ce qui se passe entre les éléments. Cela s’appelle la chimie.
Il voudrait saisir le visible mais aussi l’invisible, l’invisible de ces forces et phénomènes qui organisent et régissent chaque petite chose se mouvant dans l’univers infini.

A deux ils se sentent complémentaires. Fraîchement diplômés, ils intègrent le CEA qui, après guerre, se lance dans la course à l’atome. Leur vie et leurs carrières sont rythmés par les affrontements internationaux, entre course à l’armement et luttes pour la paix.

Sous couvert d’un roman, l’auteur retrace l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle par le prisme scientifique et plus particulièrement de l’atome.

Ce livre n’est ni exhaustif ni purement scientifique. Il veut d’abord et avant tout éveiller la curiosité et l’envie d’« entrer en matière », ainsi que de donner un éclairage particulier à la question, encore très actuelle, de la bombe et de l’atome.

Le parfum des cendres, Marie Mangez

Alice, anthropologue, va partager quelques mois en compagnie de Sylvain, embaumeur silencieux, taciturne avec les vivants mais attentif et délicat avec ses ‘clients’. Il redonne vie aux défunts à travers leur odeur en décrivant les fragrances propres à chacun. Lui-même s’anime alors et semble reprendre vie.

« C’était une expérience étrange, presque surréelle, que l’irruption de cette myriade de senteurs entre les murs froids, blancs et parfaitement hygiéniques de la chambre funéraire. Dans cet univers des plus triviaux, l’univers de la mort, surgissait soudain tout un monde de parfums, sensuels et vibrants… la voix bourrue et sèche de l’embaumeur devenait enveloppante et Alice se laissait bercer par ce son grâce auquel les chairs figées reprenaient couleur et vie.« 

Un beau roman doux et sensoriel qui nous fait pénétrer dans le monde inconnu de la thanatopraxie et celui, plus foisonnant et impalpable, des odeurs, hommage au Parfum de Suskind.