Moi, Martha et les autres de Antoine Wauters

Vivre comme nous, dit-il encore, c’est marcher au milieu de rues recrues de chiendent, de chardons, de broussailles. C’est sourire sans comprendre pourquoi. C’est beaucoup pleurer.

La civilisation est en lambeaux… là où les causes du chaos restent floues. Un groupe de jeunes gens avancent parmi les décombres et cherchent à survivre au milieu de ce qui reste de leur monde. Repliés dans “la grotte”, ventre presque maternel, limitant les sorties dans un extérieur peu accueillant, ils prendront pourtant “la fuite” et reviendront au monde avec des “raisons d’espérer”…

Que reste t-il de l’être humain une fois l’humanité disparue ? À quoi ou à qui s’accrocher quand plus rien ne dure ? Et comment réinventer les liens qui unissent les hommes lorsque les cadres de la société ont disparu ?…

“Moi, Martha et les autres” sont de ceux qui continuent dans le chaos, rassurés et nourris par la chair des autres, parce que “(…) certaines choses peuvent être récupérées. Il faut seulement apprendre à les retrouver.”

Cruel et tendre, le regard singulier et teinté d’humour de Antoine Wauters sur ces lumineux va-nu-pieds n’est pas sans rappeler son superbe “Pense aux pierres sous tes pas” .

Si vous avez aimé, on continue…

Entrée en matière, d’Anis Mailhan


Marcel est physique, Irène est est chimie.
Elle voudrait comprendre la matière, la pénétrer. Elle voudrait s’en saisir, savoir ce qui se passe entre les éléments. Cela s’appelle la chimie.
Il voudrait saisir le visible mais aussi l’invisible, l’invisible de ces forces et phénomènes qui organisent et régissent chaque petite chose se mouvant dans l’univers infini.

A deux ils se sentent complémentaires. Fraîchement diplômés, ils intègrent le CEA qui, après guerre, se lance dans la course à l’atome. Leur vie et leurs carrières sont rythmés par les affrontements internationaux, entre course à l’armement et luttes pour la paix.

Sous couvert d’un roman, l’auteur retrace l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle par le prisme scientifique et plus particulièrement de l’atome.

Ce livre n’est ni exhaustif ni purement scientifique. Il veut d’abord et avant tout éveiller la curiosité et l’envie d’« entrer en matière », ainsi que de donner un éclairage particulier à la question, encore très actuelle, de la bombe et de l’atome.

La Dasco de la Cité de H. Morse

Si tu sautes, ton destin est tout tracé ! Si tu renonces, tu pourras voir que rien n’est écrit. Le “destin” n’est qu’une question humaine. Pour que chacun puisse croire qu’il a une place dans ce monde.

Arrachée brutalement à sa famille alors qu’elle n’était qu’une enfant, Diss a vu s’envoler un avenir princier confortable. Vendue par un marchand sans scrupule aux Dasco, elle apprend à se battre et à survivre dans cette confrérie de guerrières menée par la poigne de fer de la Régente. Détestée de cette dernière, Eldes, et de sa protégée, Atlante, la jeune fille puise persévérance et réconfort dans la solide amitié qui la lie à Janvier, l’un des gardes de la porte de la Cité.

Mais, de nombreux secrets bien gardés vont peu à peu refaire surface lorsque la vieille Eldes meurt et qu’une nouvelle Régente doit être choisie. Qu’est-ce donc que cette “Passation” dont peu de Dasco semble avoir entendu parler ? Qui sont donc ces mystérieux moines chargés de “protéger” la dague que tant de monde convoite ? Et quels seront les chemins choisis par Diss et ses compagnons de route pour mener à bien la “mission” que le sort semble vouloir leur confier ?

Le premier tome d’une trilogie qui n’en n’est pas moins un roman à part entière. L’univers, bien ficelé et inspiré de la fantasy, contraste avec des dialogues vitaminés et très contemporains. L’intrigue se balade entre aventure et roman initiatique, avec des personnages forts et attachants animés par des valeurs d’amitié, d’amour et d’engagement, et évite les pièges de la mièvrerie et du moralisme.

Un premier roman dans lequel on se laisse embarquer et dont on attend la suite, début 2022, avec impatience. On ajoute un clin d’oeil au joli travail d’illustration de couverture signé Nelly Bal

Dès 13/14 ans et sans limite d’âge ! à retrouver dans les rayons de la librairie.

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-2/

Pour lire le premier chapitre, c’est par ici :

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-le-roman-sonore/

Les cœurs insolents de Ovidie et Audrey Lainé

La seule différence avec aujourd’hui, c’est qu’on n’en parlait pas. On avait appris à trouver ça normal.

“Les cœurs insolents” ou le portrait d’une génération sans nom “biberonnée” au sexisme ordinaire, génération de celles qui sont nées entre la fin des années 70 et le début des années 80, les “quadra” d’aujourd’hui.

Quoi faire du vent de liberté qui a emporté ces ados et qui contraste radicalement avec le vécu de leur mère au même âge ? Comment devenir une femme libre et une mère “en équilibre” quand on traine lourdement le poids d’une éducation et du patriarcat ?

Ovidie, Audrey Lainé et Wendy Delorme (quelle préface !!) interrogent, racontent et se racontent. Et à travers l’histoire de ces adolescentes, sans doute la votre, la notre, celles des filles qui ont appris à dire “non” aux violences mentales et physiques trimballées en toute banalité par la société de cette fin des années 1990…

Pour en savoir plus sur les autrices, c’est par là… et c’est non exhaustif !

https://www.audreylaine.fr/

http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_liste_generique/C_86248_F

https://www.cambourakis.com/auteur_livre/wendy-delorme/

Le parfum des cendres, Marie Mangez

Alice, anthropologue, va partager quelques mois en compagnie de Sylvain, embaumeur silencieux, taciturne avec les vivants mais attentif et délicat avec ses ‘clients’. Il redonne vie aux défunts à travers leur odeur en décrivant les fragrances propres à chacun. Lui-même s’anime alors et semble reprendre vie.

C’était une expérience étrange, presque surréelle, que l’irruption de cette myriade de senteurs entre les murs froids, blancs et parfaitement hygiéniques de la chambre funéraire. Dans cet univers des plus triviaux, l’univers de la mort, surgissait soudain tout un monde de parfums, sensuels et vibrants… la voix bourrue et sèche de l’embaumeur devenait enveloppante et Alice se laissait bercer par ce son grâce auquel les chairs figées reprenaient couleur et vie.

Un beau roman doux et sensoriel qui nous fait pénétrer dans le monde inconnu de la thanatopraxie et celui, plus foisonnant et impalpable, des odeurs, hommage au Parfum de Suskind.

Mon Mari, Maud Ventura

Alors qu’elle a un quotidien qui a tout pour rendre heureux, la narratrice est attentive à tout détail qui pourrait rompre l’harmonie, et surtout au moindre signe indiquant que son mari l’aime moins. Amoureuse de l’amour, elle vit dans cette phase d’obsession passionnelle qui ne dure normalement que les premiers mois d’une relation.

J’aime tellement fort que je me consume dans mon propre amour, si bien que lorsque je suis amoureuse, je finis toujours par être un peu éteinte. J’aime et je veux être aimée avec tellement de sérieux que cet amour devient vite épuisant (pour moi, pour l’autre). Bref, j’ai l’amour malheureux.”

Un premier roman surprenant et grinçant, qui met en scène un amour abusif et dérangeant.

J’envie les veuves, les maîtresses et les femmes abandonnées, car je vis depuis quinze ans dans le malheur permanent et paradoxal d’être aimée en retour, de connaître une passion sans obstacle apparent. Combien de fois ai-je espéré que mon mari me mente, qu’il me trompe ou qu’il me quitte : le rôle de la divorcée brisée est plus facile à tenir. Il est déjà écrit. il a déjà été joué… Je ne connais aucun roman, aucun film, aucun poème qui puisse me servir d’exemple et me montrer comment aimer moins fort… je n’ai rien pour documenter ma peine.”

Les flammes de pierre, Jean-Christophe Rufin

Rémy est guide de montagne. Sa rencontre avec l’énigmatique Laure bouleverse son quotidien. Leur amour se mêle à leur passion pour la montagne. “Leur relation était saturée par sa beauté et par sa force.

Rufin nous offre une histoire d’amour mais partage surtout sa passion pour la montagne et l’alpinisme.

Blizzard, Marie vingtras

Au cœur d’un violent blizzard en plein Alaska, un petit garçon disparaît. Bess n’a pourtant lâché sa main qu’un bref instant. Elle se lance à sa recherche, tout comme Bénédict et Cole. Alors que chacun lutte contre les éléments, les souvenirs remontent, le passé ressurgit.

Un premier roman captivant au suspens maîtrisé qui nous plonge en plein froid comme dans les tourments de l’âme humaine.

Les gens d’ici vous demandaient jamais d’où vous veniez. Vous pouviez vous être sorti les fesses tout droit de l’enfer ou être descendu du paradis, ça faisait pas de différence. Si vous étiez prêt à vivre au milieu de nulle part, à travailler dur, et à pas vous plaindre, il y avait une place pour vous.

Une certaine raison de vivre, Philippe Torreton

Jean revient de la grande guerre physiquement intact mais intérieurement broyé. Sa rencontre avec Alice le rend à la vie, mais l’amour n’arrive pas à être plus fort que les ravages laissés par la guerre. Seul le souvenir d’un berger provençal croisé avant les conflits parvient, parfois, à le rendre vraiment à la vie.

Alice était sa chance, peut-être même son unique chance de construire quelque chose qui ressemblerait à une vie après cette guerre qui l’avait vandalisé en une longue et violente destruction de chaque jour qui avait tout cassé en lui, tout ce qui ne se voit pas. Pour ce broyé de l’intérieur, chaque jour était une bataille contre des milliers de pensées et autant d’images qui remontaient des bas-fonds comme des remugles.

Un beau texte qui nous plonge dans la difficulté du retour à la vie normal pour un jeune homme traumatisé par la guerre, et qui rend un hommage discret à l’homme qui plantait des arbres de Giono.

Ceux qui trop supportent de Arno Bertina

Le combat des ex-GM&S (2017-2020)

J’aurais voulu écrire un livre qui ne mentionne pas les larmes des ouvriers…

Entre 2017 et 2020, Arno Bertina rencontre les salariés de l’usine GM&S, sous-traitant de Renault et PSA, dans la Creuse. Frappés par une énième salve de licenciements et de démantèlement de leur outil de travail, c’est leur parole et leur combat qu’il va écouter et délivrer. Au-delà du constat social révoltant, ce sont des personnes bien réelles qui sont au centre de ce livre ; leur vie, leurs ressentis, leur humanité et générosité qui tranchent en regard du comportement des décideurs, patronat et pouvoirs publics tous dans un même panier.

Un pamphlet à charge et franchement exagéré ? Même pas ! Le constat est simple et argumenté. La noblesse des ouvriers de GM&S est une claque insupportable pour des puissants obsédés par l’appât du gain et le pouvoir.

Des femmes et des hommes massacrés par une logique économique qui ne prospère que parce que leur engagement pour LEUR usine est bien plus fort que tout ce qu’ils auront à encaisser de la part des “têtes pensantes”, rédigeront une proposition de loi destinée à éviter que l’histoire ne se répète pour d’autres. Une leçon d’altruisme ? Toujours pas. Des êtres profondément humains qui n’ont pas oublié que pour une bonne omelette aux cèpes, il fallait plus de cèpes que d’œufs.

Le récit d’une lutte, oui… Et, tout à la fois, un livre très personnel… “C’est ton bouquin Arno”, comme le lui rappellera Vincent Labrousse (élu CGT à GM&S) en 2020. S’il n’est pas question pour Arno Bertina de tirer une quelconque gloire d’un combat qu’il n’aurait pas mené, sa révolte épidermique devant la violence d’un système destructeur est saine, légitime et contagieuse.

L’infatigable Arno Bertina prête à nouveau sa plume à une vérité glaçante (pour mémoire, “L’âge de la première passe” sur la prostitution de toutes jeunes femmes au Congo) et interroge humblement le regard et la langue qu’il pose sur ces moments de vie.

Un récit sombre dans ce qu’il nous dit du monde dans lequel nous vivons et en même temps empreint de l’espoir et de l’énergie communicative qui se dégage du portrait de ces femmes et de ces hommes qui ont tenu tête. Une lecture juste et nécessaire, d’une humanité spontanée, simple et sincère.