Archives par mot-clé : Roman

Consolée, de Beata Umubyeyi Mairesse

Consolée grandit au Rwanda, enlevée au siens et confiée à un orphelinat qui prend en charge les enfants « mulâtres ». Astrida, touchée par Alzheimer, perd l’usage du français et ne s’exprime que dans une langue inconnue qui l’isole de plus en plus. Quand Ramata arrive dans la maison de retraite pour son stage de thérapeute, elle se prend d’affection pour cette vieille dame et tente de comprendre qui elle est et d’où elle vient.

A travers trois destins croisés, entre racisme, exil et quêtes d’identités, le livre retrace une part sombre et méconnue de l’histoire de la Belgique coloniale.

Zizi cabane de Bérengère Cournut

C’est étrange comme, parfois, « rien » a l’air d’être quelqu’un

Odile, la mère disparaît et c’est tout un monde que Ferment, son mari, et Béguin, Chiffon et la jeune Zizi Cabane, leurs enfants, vont devoir arpenter autrement. La nature s’en mêle, l’eau se met à ruisseler à travers la maison et le souffle du vent semble porter une voix. Une lutte contre les éléments, métaphore de ce qui les meut intérieurement, s’engage pour chacun d’entre eux, chacun la sienne et chacun avec ses propres outils, mais peuvent-ils réellement endiguer le cours d’un ruisseau et faire taire le vent ? Sans doute pas davantage qu’ils ne peuvent couper court au flot des sentiments qui s’empare d’eux et par lequel il leur faudra se laisser porter.

Mais peu à peu, la douce présence de Jeanne, la sœur d’Odile, à leurs côtés et l’arrivée impromptue de Marcel Tremble, grand-père auto-proclamé plein d’humour et d’amour dans leur vie, viennent esquisser un nouveau chemin pour la tendresse… Des kilomètres de sentiers sous les pieds, des chutes de tissu en forme de collines, des rencontres et c’est la vie qui va se charger de leur botter les fesses pour reprendre son cours.

Les lectrices et les lecteurs assidus de Bérengère Cournut tendront sans doute un pont entre « Élise sur les chemins » et « Zizi Cabane »… Une forme de fascination pour le caractère rebelle que les rivières, les reliefs et Elisé Reclus ont en partage traverse ses deux derniers livres… Et Bérengère Cournut n’a pas terminé de nous étonner, chaque texte est un nouveau voyage dans lequel plonger ouvre une brèche poétique et onirique dans le réel. L’indomptable et tout ce qui échappe au contrôle de la main et de l’esprit des hommes vient envelopper les personnages du roman comme un baume sur leurs maux. Comment la paix retrouve, vaille que vaille, le chemin des cœurs de celles et ceux qui sont frappés par le deuil, il est peut-être là le beau message porté par ses mots.

Un roman doux et lumineux.

En librairie le 18 août 2022.

Le parfum de l’exil, d’Ondine Khayat

« Taline appartenait à une chaîne humaine. Des êtres incarnés les uns après les autres, dont le vécu laissait des empruntes indélébiles… Elle portait en elle les stigmates des horreurs perpétuées contre les siens et, quoi qu’elle fasse, elle ne pouvait y échapper. Il lui fallait s’y confronter. »

Une belle lecture qui nous entraîne aux côté d’une jeune femme confrontée au passé de sa grand-mère arménienne dont elle découvre l’histoire et les tragédies…

« J’ai laissé des morceaux de mon coeur sur les routes tortueuses de ma vie. Ils se sont pris dans les buissons du doute et sont restés suspendus aux mûriers du désespoir.« 

« Lettres à Clipperton », Irma Pelatan

« Je vois que vous tous rêvent, répondent encore et encore à vos sirènes. Mais je vois aussi que chacun dialogue avec un Clipperton qui n’est pas celui de l’autre. Au fond, chacun d’eux est seul sur son île. Et l’île est tellement d’îles. »

Objet littéraire qui éveille la curiosité et clin d’œil à l’oulipien, Jacques Jouet, ce texte est un grand voyage immobile, empreint de la violence des hommes et pourtant profondément poétique.Des lettres adressées à son « Cher ami », hypothétique être vivant sur cette île du bout du monde ou peut-être à l’île elle-même, déroulent vie et mort de ce bout de rocher aussi inhospitalier que convoité et de ceux qui l’ont, chacun à leur façon, approché.

Je vous sens dubitatif et c’est dommage, parce que la magie opère dès les premières lignes. Celle des histoires à l’intérieur de l’Histoire dans lesquelles se baladent Jack Torrance, Victoriano Alvarez, Barbara Pompili et le commandant Coustaud et celle de l’écriture de l’autrice, qui embarque le lecteur comme le mouvement des vagues un petit caillou…

« Quel art admirable que l’écriture : il ne demande presque aucun moyen, juste le fol espoir de la destination. »

Une pépite aux Editions La Contre Allée

Bel Abîme de Yamen Manai

« Vous savez, la tête, c’est une cheminée, la vie un long hiver et les souvenirs et les livres, des morceaux de bois.
(…)
Dans ce monde de façades, ce qu’il y a de plus précieux est ce qui coûte le moins. Un livre, une étreinte, et l’amour, l’amour, ne serait-ce que celui d’un chien.
« 

Tunisie, après ce printemps qui n’amènera que du vent à celles et ceux qui ont eu de l’espoir.

Le monologue d’un adolescent d’une quinzaine d’années, adressé alternativement à l’avocat commis d’office et au psychologue judiciaire, qui déroule le récit d’un avenir dos au mur dans un pays rongé par le désespoir et la misère.

Lorsque la violence et le mépris harcèlent de toutes parts et sont les seuls horizons, les seuls modèles et héritages, peut-on honnêtement parler de choix ? ne serait-ce que d’une possibilité de faire autrement ?
Comment faire lorsqu’on vous retire la seule petite lumière, apparue au milieu de cet enfer, qui laissait enfin croire qu’autre chose était possible ?
Quand il n’y a rien, nulle part et jamais, qui peut croire que la colère est injustifiée ?

Un texte court, fort et tristement réaliste sur la Tunisie d’aujourd’hui et ce qu’il reste de sa « révolution ».

L’arbre de colère, de Guillaume Aubin

« Je suis une montagne, je suis une Peau-Mêlée.« 

La naissance de Fille-Rousse est entourée de mystère. Elle grandit dans une tribu amérindienne, fille qui partage les jeux des garçons, et sera reconnue comme Peau-Mêlée, un être à part, homme et femme à la fois, reconnue comme telle par certains et mis à l’épreuve par d’autres.

« J’ai gagné de vivre encore avec les arbres et pas devant ma tente. Il dit aux autres que c’est moi qui ai triché. Il dit que j’ai menti. […] Est-ce qu’il me faut regagner chaque jour mes droits ? Est-ce qu’il faut se battre cent fois sans jamais trébucher ? Non. j’ai joué selon les règles, et j’ai gagné.« 

Un premier roman sur les traces d’une jeune fille en quête de liberté et d’identité, qui nous fait découvrir les tribus semi-nomades des Premières Nations canadiennes, entre l’amour des familles et la violence des rites et des combats, entre traditions ancestrales et évolution forcée par l’arrivée des Européens.

« Je me trouve sur une plage,d’où je peux regarder l’île en face. Le soir se rapproche. le soleil glisse lentement. Semble ne jamais vouloir s’échapper. Les nuages se gorgent de couleurs. Devant moi, sur l’île, il y a cette roche heureuse de recevoir le ciel. Cette falaise miroir. Je laisse mes yeux entrer dans une faille qui court. Ils y entrent si profond que je sens la puissance de la pierre. Comme si mes yeux étaient une main immense qui caresse. La faille n’est plus là-bas, elle est là, sur mes doigts. Elle est là, dans mon ventre.« 

Ce qui vient après, de Joanne Topkins

Jonah se suicide en avouant le meurtre de son ami Daniel. La vie des familles de ces adolescents éclate face à ses drames inexplicables. Arrive Evangeline, jeune fille sans-abri et enceinte, qui va mettre de la lumière dans la vie d’Isaac qui la recueille et de Lorrie.

Un roman poignant et lumineux où trois êtres blessés vont devoir affronter leurs souvenirs et les douleurs sourdes du passé pour se reconstruire.

Café sans filtre, de Jean-Philippe Blondel

Depuis la réouverture du Tom’s après le confinement, Chloé s’y réfugie chaque jour, discrète observatrice des gens qui passent avec leurs histoires, cette femme avec son fils, ces deux hommes qui se retrouvent, mais aussi Jocelyne, l’ancienne patronne du bar et Fabrice, qui a pris la suite, avec José et ses envies d’évasion…

Un roman frais et léger qui se savoure comme un café en terrasse et qu’on referme avec le sourire !

Chef, de Gauthier Battistella

Paul Renoir grand chef gastronomique fraîchement élus « meilleur Chef du monde », se suicide en plein tournage d’un film sur sa vie et son parcours. Alors qu’on s’interroge sur son acte, ses héritiers tentent de sauver son affaire et ses étoiles. Entre passé et présent, le parcours de l’homme sous la toque se dévoile, du sud ouest en passant par Paris jusqu’au lac d’Annecy.

Un roman intéressant sur la gastronomie française, de la guerre à nos jours, à travers le parcours d’un homme, élevé dans les cuisines de sa grand mère et devenu chef étoilé. Et nous fait entrer dans les coulisses des cuisines, univers rude et rigoureux, de passions , entre rivalités et solidarité

American dirt, de Jeanine Cummins


La vie de Lydia bascule lorsque sa famille se fait massacrer sous ses yeux par le cartel. Seule rescapé avec son fils, elle s’enfuit et est contrainte de rejoindre le flot anonyme des migrants pour tenter d’échapper à ses poursuivants. Son parcours semé d’embûches et de rencontres, providentielles comme malencontreuses, lui fait traverser le Mexique vers la promesse d’El Norte

« Il est dangereux de faire confiance à quiconque sur la Bestia. Il y a des bandits, des violeurs, des trafiquants, des voleurs et des narcos cachés dans les rangs de la policia de chaque ville, mais il n’y a pas que les policiers dont il faut se méfier. N’importe quelle personne qu’ils rencontrent justifie les soupçons [] même leurs camarades migrants. Surtout ceux-là.« 

Un roman bouleversant et haletant qui fait découvrir les migrants du Mexique, les cartels et narcos.