Archives de catégorie : Pryscilla a lu

Howl de Allen Ginsberg

J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus
se trainant à l’aube dans les quartiers noirs en quête d’un furieux shoot,
initiés à gueules d’anges brûlant pour l’antique lien céleste avec la dynamo étoilée dans la machinerie de la nuit (…)

Nouvelle traduction de Nicolas Richard aux éditions Christian Bourgois (version originale en seconde partie de recueil) pour ce monument de la poésie américaine publié pour la première fois en 1956. Qualifié d’obscène et d’abord censuré dans un pays qui est encore loin d’en avoir terminé avec le puritanisme, « Howl » continuera d’être diffusé suite à un arrêt de 1957 rendu par le juge Clayton W. Horn et deviendra le recueil « culte » de la Beat Generation, emblématique mouvement de la contre culture américaine porté par Ginsberg, Kerouac et Burroughs.

Créatif et libertaire dans sa forme, ce texte halluciné dévale les pentes de l’âme humaine entre grandeur et décadence, lyrisme et brutalité crue et le flot des mots vous menotte à sa lecture de la première à la dernière ligne. Respirez un grand coup avant de poser les yeux sur la première page, vous ne reposerez pas le livre avant de l’avoir frénétiquement terminé.

Intemporel cri de rage contre une Amérique dévorée par les inégalités sociales, le racisme et la violence du système capitaliste, brûlot incendiaire contre une société qui écrase tout ce qu’elle considère comme marginal, « Howl » n’a rien perdu de sa force pour celles et ceux qui le découvriront aujourd’hui.

En librairie le 22 septembre 2022.

Trois sœurs de Laura Poggioli

« S’il te bat, c’est qu’il t’aime » dit un proverbe russe.

Le récit de Laura Poggioli s’empare d’une tragique histoire qui a ébranlé la société russe à partir de juillet 2018. Trois jeunes femmes Krestina, Angelina et Maria prennent l’unique décision capable de mettre fin au calvaire subi depuis leur plus jeune enfance en supprimant leur bourreau de père. Mikhaïl Khatchatourian, d’origine arménienne, proche des forces de l’ordre et de l’église orthodoxe, a bénéficié pendant des années de toute la clémence délibérément aveugle des autorités pourtant maintes fois sollicitées à propos des mauvais traitements infligés à ses filles.

Un véritable choc pour nous, une situation atrocement banale en Russie : « S’il te bat, c’est qu’il t’aime », le proverbe est ancré dans toutes les strates de la société et il ne saurait être question de « laver le linge sale » de l’intimité de la famille sur la place publique. Ce qui se passe dans les foyers reste dans les foyers et bien mal à celles et ceux qui voudraient qu’il en soit autrement.

Après leur arrestation, la presse et l’opinion publique russes désigneront Krestina, Angelina et Maria sous ce terme des « trois sœurs », bouleversant témoignage des liens qui les unissent depuis leur naissance dans la soumission absolue au patriarcat et au conservatisme religieux. Si dans un premier temps la société russe, empreinte de déni sur la question de la violence faite aux femmes, considère que les jeunes filles sont coupables de parricide, l’accumulation de preuves et de témoignages sur les atrocités endurées ont néanmoins permis de susciter chez certains une prise de conscience et un élan de révolte à l’égard de la tolérance criminelle du droit russe envers les violences domestiques. Le jugement n’est à ce jour toujours pas rendu pour les trois victimes mais d’autres affaires ont depuis bénéficié de verdict plus clément pour les victimes que pour leurs tortionnaires. Une petite avancée dans un pays où une loi votée en 2017 avait permis la dépénalisation des violences commises dans le cercle familial…

Le récit de Laura Poggioli ne jette pas l’opprobre sur tout un pays et sa culture. De ses années étudiantes passées à Moscou, elle ne cache pas son admiration pour la langue russe et le plaisir qu’elle a éprouvé dans les rencontres qui pour certaines ont donné naissance à de belles amitiés. En revanche, l’autrice met le doigt sur des aspects de la société que la Russie à la sauce Poutine préfère ne pas voir exposer au-delà de ses frontières et sur la manière dont l’histoire du 20ème siècle en a modelé les contours. En choisissant de donner une voix à toutes ces femmes réduites au silence (16 millions de femmes victimes de violence sous leur propre toit chaque année en Russie… seulement 10% d’entre elles osent déposer plainte), c’est sa propre expérience de la violence dominatrice des hommes qui va rejaillir, le long chemin qu’il lui a fallu parcourir pour panser les plaies profondes de sa psyché et parvenir à se confronter, enfin, à son histoire familiale elle aussi marquée par le désir implacable des hommes d’asservir les femmes.

Un premier livre poignant et juste, nécessairement bouleversant et tristement indispensable.

Héliotrope T1. Les voleurs de magie de Joann Sfar & Benjamin Chaud

Mon drame a commencé ainsi. Ça va sans doute vous faire marrer, mais je vous garantis qu’y a pas de quoi rire. Juste avant de m’appeler Héliotrope, j’avais la même couleur que vous.

Pas facile de passer inaperçue au collège et de se faire des amis quand on est élevée par une grand-mère qui déjeune d’un bol de vodka céréales, que ses parents sont incarcérés (préférer « sans profession » pour les papiers officiels 🙂) et qu’on appartient à une lignée de cambrioleurs voleurs d’objets magiques.

Lorsque par amour pour la belle Calypso, celle qui n’est pas encore devenue Héliotrope décide, avec l’aide de sa copine vampire Aspirine (clin d’œil à une autre héroïne de Sfar) de subtiliser la plus rare des couleurs, elles va rapidement regretter de ne pas avoir tenu compte du panneau « NE PAS TOUCHER » !

Cœur d’artichaut au caractère bien trempé, rebelle à toute autorité et totalement casse-cou , Héliotrope, armée de son Nokia hors d’âge et d’une bonne dose d’humour va se retrouver mêler à de bien étranges aventures et devra faire preuve d’une intrépidité digne d’Indiana Jones pour échapper à tous ceux qui convoitent le mystérieux « objet » sur lequel elle vient de mettre la main…

Un premier tome que l’on dévore d’une traite et qui donne terriblement envie de lire la suite !

Colette Magny. Les petites chansons communistes de Yann Madé

Ne pas chanter pour mais donner la parole.

Non, Colette Magny ce n’est pas que ‘Mélocoton » et on en est même loin !
Entre la secrétaire bilingue à l’OCDE et la corpulente pintade insoumise, il y a une vie de luttes et de rencontres.
Son oeuvre artistique profondément inspirée par ses engagements, de la Guerre d’Algérie jusqu’aux mouvements antiracistes des années 1980, et les coups de gueule, marques de fabrique de cette immense artiste, jalonnent les pages de cette passionnante BD et nous la racontent dans toute sa radicalité.
Des textes de ses chansons rythment cette biographie qui n’accorde que très peu d’entorses au réel et on croise des tas de personnes formidables dont on est très content d’entendre parler (pour une fois…)
Et merci Pierrot d’avoir travaillé l’auteur au corps pour que cette pépite voit le jour. 😉

(Gros, très gros) Coup de cœur ❤❤❤

« Lettres à Clipperton », Irma Pelatan

« Je vois que vous tous rêvent, répondent encore et encore à vos sirènes. Mais je vois aussi que chacun dialogue avec un Clipperton qui n’est pas celui de l’autre. Au fond, chacun d’eux est seul sur son île. Et l’île est tellement d’îles. »

Objet littéraire qui éveille la curiosité et clin d’œil à l’oulipien, Jacques Jouet, ce texte est un grand voyage immobile, empreint de la violence des hommes et pourtant profondément poétique.Des lettres adressées à son « Cher ami », hypothétique être vivant sur cette île du bout du monde ou peut-être à l’île elle-même, déroulent vie et mort de ce bout de rocher aussi inhospitalier que convoité et de ceux qui l’ont, chacun à leur façon, approché.

Je vous sens dubitatif et c’est dommage, parce que la magie opère dès les premières lignes. Celle des histoires à l’intérieur de l’Histoire dans lesquelles se baladent Jack Torrance, Victoriano Alvarez, Barbara Pompili et le commandant Coustaud et celle de l’écriture de l’autrice, qui embarque le lecteur comme le mouvement des vagues un petit caillou…

« Quel art admirable que l’écriture : il ne demande presque aucun moyen, juste le fol espoir de la destination. »

Une pépite aux Editions La Contre Allée

Je suis un génie de Susie Morgenstern

C’est Susie qui a dit qu’il l’a dit, alors on n’a pas de raison de ne pas y croire !

« Mon chéri Shel Silverstein m’encourage :
– Fais un dessin fou
écris un poème loufoque
chante une chanson cucul
siffle un soliloque
danse comme un derviche
à travers le plancher de ta niche
mets quelque chose de frivole au monde
qui n’était pas là avant. –
« 

Méthode de « génialogie » quotidienne, répertoire subjectif de ses propres génies et manifeste à l’usage de ceux qui doutent de leur talent. Un petit texte de la grande Susie Morgenstern qui fera du bien au moral de tous les génies qui s’ignoraient encore avant cette lecture.

L’Iconopop, saison 4

Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna

L’underground pragois face au stalinisme. La lettre d’une femme provocatrice, féministe, indépendante et absolument amoureuse à son amant. À lire, pour ceux qui ne connaissent pas l’autrice, à la lumière de la préface de Anna Rizzello. Un contexte qui compte… Ce qui n’enlève rien à l’intemporalité du propos mais souligne son caractère résolument avant-gardiste.

À celles et ceux que l’adjectif « raisonnable » – appliqué à la création, à l’amour, au désir, au sexe – fera toujours frémir.
À celles et ceux qui démolissent résolument les barrières entre les chemins qu’emprunte leur envie de l’autre.
Et aux autres… Parce qu’un brin d’anti-conformisme ne fait pas de mal, je crois.
Un texte beau et brûlant, comme un orgasme intensément impudique qui abolit toutes frontières entre ventre et tête.

Au poil de Sophie Adriansen

« Plus j’y réfléchis, plus tout m’amène à cette conclusion : s’enlever tous les mois des poils qui repousseront de toute façon, ça ne sert à rien. Je fais un rapide calcul : une heure chez l’esthéticienne chaque mois pendant… disons, soixante ans, en partant du principe que quand j’aurai soixante-quinze ans je n’en aurais plus rien à fiche de mes jambes, ça fait sept cent vingt heures. ce qui correspond à trente jours ! Un mois complet d’une vie passé à se faire arracher des poils ! Qui peut réellement décider de sacrifier autant de temps à ça ?« 

Un chouette roman jeunesse pour se donner le choix de dire halte à la dictature anti-poils aux pattes, sous les bras ou qui dépassent des bords de la culotte ou du nez 😉

Et une belle collection de 4 titres déjà parus à découvrir aux éditions Magnard Jeunesse à lire et/ou à écouter.

https://www.magnard.fr/collection/la-breve

Plus de likes que d’amour de Dorian Masson

« Sur les draps noirs

ton soutien-gorge Blanc

Comme j’aimerais que tu le remettes

Pour te l’enlever

Encore« 

Pour ou contre les soutien-gorges, peu importe.

En revanche, je parie que vous serez entièrement pour ce texte. Un vrai crève-cœur de n’en relever que quelques lignes pour titiller votre curiosité et ne pas déflorer tout le livre.

À chaque page, la magie opère qu’elle vous serre les entrailles ou vous colle le sourire… À l’heure du numérique, des trucs qui vont vite, des gens qui s’éloignent les uns des autres, ça fait du bien de parler d’amour/des amours avec des hauts, des bas et même des travers : la vie, quoi !

Une petite pépite dans l’une de nos collections favorites, « L’iconopop ».

Et pour suivre l’auteur sur Instagram, c’est par ici

https://www.instagram.com/n0zam/

Bel Abîme de Yamen Manai

« Vous savez, la tête, c’est une cheminée, la vie un long hiver et les souvenirs et les livres, des morceaux de bois.
(…)
Dans ce monde de façades, ce qu’il y a de plus précieux est ce qui coûte le moins. Un livre, une étreinte, et l’amour, l’amour, ne serait-ce que celui d’un chien.
« 

Tunisie, après ce printemps qui n’amènera que du vent à celles et ceux qui ont eu de l’espoir.

Le monologue d’un adolescent d’une quinzaine d’années, adressé alternativement à l’avocat commis d’office et au psychologue judiciaire, qui déroule le récit d’un avenir dos au mur dans un pays rongé par le désespoir et la misère.

Lorsque la violence et le mépris harcèlent de toutes parts et sont les seuls horizons, les seuls modèles et héritages, peut-on honnêtement parler de choix ? ne serait-ce que d’une possibilité de faire autrement ?
Comment faire lorsqu’on vous retire la seule petite lumière, apparue au milieu de cet enfer, qui laissait enfin croire qu’autre chose était possible ?
Quand il n’y a rien, nulle part et jamais, qui peut croire que la colère est injustifiée ?

Un texte court, fort et tristement réaliste sur la Tunisie d’aujourd’hui et ce qu’il reste de sa « révolution ».