Archives de catégorie : ♥ Coups de coeurs de Pryscilla ♥

Watergang de Mario Alonso

Il parlera des autres et de Middelbourg. Il ne nous racontera pas, la vie d’ici ne se raconte pas. Il nous fera simplement parler à tour de rôle et ce sera suffisant.

“Dieu est comme mon père, il m’aime mais de loin.”

Middelbourg, petit village dans les polders.

Paul a presque 13 ans, et l’ambition de devenir écrivain, il arpente les chemins et collecte des mots, des bouts de phrases, des listes qu’il conserve dans son carnet noir. Pour ce qui est des lettres reçues, il les enterre sous son magnolia. Paul est un enfant singulier.

La mère, Super, s’efforce de joindre les deux bouts avec son travail à la superette. La soeur, Kim ou Birgit, enceinte et encore bien jeune, attend l’arrivée de son bébé en pianotant sur son smartphone avec ses copines au bar du village. Et les autres, Jimmy, Jeroen, les paysages, le temps qui s’écoule, le père, Jan partie en Angleterre, Julia, sa compagne… Tous, êtres vivants, pièces inanimées du puzzle , moments et éléments de “décor” parlent et prêtent tour à tour leur voix pour tisser le fil de leur histoire.

Un texte qui enveloppe son lecteur comme un plaid en plein hiver. La mer et les vagues qui bercent, une douce grisaille et une certaine langueur empreinte de bienveillance planent sur ces pages et ses habitants/personnages.

Laissez-vous porter, une tasse de thé à la main, par ce premier roman de Mario Alonso publié par Le Tripode.

Une lecture qui fait écho, pour moi, à “Ultramarins” de Mariette Navarro, dans sa réconfortante étrangeté.

ULtramarins de Mariette Navarro

L’autre moitié du monde de Laurine Roux

« (…) ils ancrent l’utopie. C’est empirique, une révolution, fait de tout un tas de tentatives, d’échecs et d’accidents heureux. Surtout, ça s’arrose de rêve. »

Buriné par la chaleur du soleil et les embruns, le delta de l’Èbre en Espagne dans les années 1930.

C’est dans ces paysages que grandit Toya Vásquez Montalbán, enfant belle et sauvage au tempérament instinctivement rebelle. Et il y a de quoi le ressentir ce besoin de rébellion lorsque l’on voit sa mère, usée par son travail dans les cuisines du château, humiliée et violentée par le fils de l’impitoyable marquise et que l’on regarde son père rentrer à la nuit tombée, terrassé par la fatigue d’une vie de labeur passée dos courbé dans les rizières.

Les riches châtelains, grisés par leur certitude d’une impunité infiniment acquise et indifférents à la condition misérable des paysans qu’ils exploitent, sont bien à l’abri du besoin au sommet de la colline dans leur propriété fleurie et bien loin de tendre l’oreille lorsque les premiers murmures de l’insurrection se font entendre.

La mort, celle de trop, met le feu aux poudres et le petit peuple du delta jusqu’alors à genoux devant les puissants se relève et rejoint le destin de tout un pays. La suite de l’histoire restera un lourd secret au fond du cœur de Toya jusqu’à ce que l’arrivée au village de la jeune Luz ravive les mémoires et délie les langues. L’heure est à la parole et à une (juste) vengeance.

« Une histoire d’amour, de haine et de mort » nous dit la quatrième de couverture.

Plongez et vous y rencontrerez aussi des fantômes qui mangent des fleurs fraîches au bord des routes, des anguilles qui retournent là où elles sont nées, de l’espoir qui jute comme une pastèque en été et un homme qui dit à une femme : « Tú eres la otra mitad del mundo »…

Une pépite avec laquelle l’auteure nous livre une nouvelle facette de son talent d’écrivaine avec un roman ancré dans la réalité historique. Laurine roux se saisit des pages à la fois les plus sombres et les plus emplies d’espoir de l’Histoire espagnole et restitue avec force la lutte pour « la tierra y la libertad » fauchée dans son élan par les horreurs de la Guerre civile et le regard baissé d’une Europe pragmatiquement conservatrice.

Pour les inconditionnels de ses premiers romans qui auraient l’idée de ne pas l’attendre sur ce terrain, ravisez-vous et laissez-vous happer ! Laurine Roux est de celle qui n’écrive pas en rond sans se départir de cette plume magnétique que vous reconnaitrez.

Un immense coup de cœur.

Le sanctuaire paraîtra en poche aux éditions Folio le 3 février 2022

Le sanctuaire, de Laurine Roux

Une immense sensation de calme, de Laurine Roux

Moi, Martha et les autres de Antoine Wauters

Vivre comme nous, dit-il encore, c’est marcher au milieu de rues recrues de chiendent, de chardons, de broussailles. C’est sourire sans comprendre pourquoi. C’est beaucoup pleurer.

La civilisation est en lambeaux… là où les causes du chaos restent floues. Un groupe de jeunes gens avancent parmi les décombres et cherchent à survivre au milieu de ce qui reste de leur monde. Repliés dans “la grotte”, ventre presque maternel, limitant les sorties dans un extérieur peu accueillant, ils prendront pourtant “la fuite” et reviendront au monde avec des “raisons d’espérer”…

Que reste t-il de l’être humain une fois l’humanité disparue ? À quoi ou à qui s’accrocher quand plus rien ne dure ? Et comment réinventer les liens qui unissent les hommes lorsque les cadres de la société ont disparu ?…

“Moi, Martha et les autres” sont de ceux qui continuent dans le chaos, rassurés et nourris par la chair des autres, parce que “(…) certaines choses peuvent être récupérées. Il faut seulement apprendre à les retrouver.”

Cruel et tendre, le regard singulier et teinté d’humour de Antoine Wauters sur ces lumineux va-nu-pieds n’est pas sans rappeler son superbe “Pense aux pierres sous tes pas” .

Si vous avez aimé, on continue…

La Dasco de la Cité de H. Morse

Si tu sautes, ton destin est tout tracé ! Si tu renonces, tu pourras voir que rien n’est écrit. Le “destin” n’est qu’une question humaine. Pour que chacun puisse croire qu’il a une place dans ce monde.

Arrachée brutalement à sa famille alors qu’elle n’était qu’une enfant, Diss a vu s’envoler un avenir princier confortable. Vendue par un marchand sans scrupule aux Dasco, elle apprend à se battre et à survivre dans cette confrérie de guerrières menée par la poigne de fer de la Régente. Détestée de cette dernière, Eldes, et de sa protégée, Atlante, la jeune fille puise persévérance et réconfort dans la solide amitié qui la lie à Janvier, l’un des gardes de la porte de la Cité.

Mais, de nombreux secrets bien gardés vont peu à peu refaire surface lorsque la vieille Eldes meurt et qu’une nouvelle Régente doit être choisie. Qu’est-ce donc que cette “Passation” dont peu de Dasco semble avoir entendu parler ? Qui sont donc ces mystérieux moines chargés de “protéger” la dague que tant de monde convoite ? Et quels seront les chemins choisis par Diss et ses compagnons de route pour mener à bien la “mission” que le sort semble vouloir leur confier ?

Le premier tome d’une trilogie qui n’en n’est pas moins un roman à part entière. L’univers, bien ficelé et inspiré de la fantasy, contraste avec des dialogues vitaminés et très contemporains. L’intrigue se balade entre aventure et roman initiatique, avec des personnages forts et attachants animés par des valeurs d’amitié, d’amour et d’engagement, et évite les pièges de la mièvrerie et du moralisme.

Un premier roman dans lequel on se laisse embarquer et dont on attend la suite, début 2022, avec impatience. On ajoute un clin d’oeil au joli travail d’illustration de couverture signé Nelly Bal

Dès 13/14 ans et sans limite d’âge ! à retrouver dans les rayons de la librairie.

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-2/

Pour lire le premier chapitre, c’est par ici :

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-le-roman-sonore/

Les cœurs insolents de Ovidie et Audrey Lainé

La seule différence avec aujourd’hui, c’est qu’on n’en parlait pas. On avait appris à trouver ça normal.

“Les cœurs insolents” ou le portrait d’une génération sans nom “biberonnée” au sexisme ordinaire, génération de celles qui sont nées entre la fin des années 70 et le début des années 80, les “quadra” d’aujourd’hui.

Quoi faire du vent de liberté qui a emporté ces ados et qui contraste radicalement avec le vécu de leur mère au même âge ? Comment devenir une femme libre et une mère “en équilibre” quand on traine lourdement le poids d’une éducation et du patriarcat ?

Ovidie, Audrey Lainé et Wendy Delorme (quelle préface !!) interrogent, racontent et se racontent. Et à travers l’histoire de ces adolescentes, sans doute la votre, la notre, celles des filles qui ont appris à dire “non” aux violences mentales et physiques trimballées en toute banalité par la société de cette fin des années 1990…

Pour en savoir plus sur les autrices, c’est par là… et c’est non exhaustif !

https://www.audreylaine.fr/

http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_liste_generique/C_86248_F

https://www.cambourakis.com/auteur_livre/wendy-delorme/

Ceux qui trop supportent de Arno Bertina

Le combat des ex-GM&S (2017-2020)

J’aurais voulu écrire un livre qui ne mentionne pas les larmes des ouvriers…

Entre 2017 et 2020, Arno Bertina rencontre les salariés de l’usine GM&S, sous-traitant de Renault et PSA, dans la Creuse. Frappés par une énième salve de licenciements et de démantèlement de leur outil de travail, c’est leur parole et leur combat qu’il va écouter et délivrer. Au-delà du constat social révoltant, ce sont des personnes bien réelles qui sont au centre de ce livre ; leur vie, leurs ressentis, leur humanité et générosité qui tranchent en regard du comportement des décideurs, patronat et pouvoirs publics tous dans un même panier.

Un pamphlet à charge et franchement exagéré ? Même pas ! Le constat est simple et argumenté. La noblesse des ouvriers de GM&S est une claque insupportable pour des puissants obsédés par l’appât du gain et le pouvoir.

Des femmes et des hommes massacrés par une logique économique qui ne prospère que parce que leur engagement pour LEUR usine est bien plus fort que tout ce qu’ils auront à encaisser de la part des “têtes pensantes”, rédigeront une proposition de loi destinée à éviter que l’histoire ne se répète pour d’autres. Une leçon d’altruisme ? Toujours pas. Des êtres profondément humains qui n’ont pas oublié que pour une bonne omelette aux cèpes, il fallait plus de cèpes que d’œufs.

Le récit d’une lutte, oui… Et, tout à la fois, un livre très personnel… “C’est ton bouquin Arno”, comme le lui rappellera Vincent Labrousse (élu CGT à GM&S) en 2020. S’il n’est pas question pour Arno Bertina de tirer une quelconque gloire d’un combat qu’il n’aurait pas mené, sa révolte épidermique devant la violence d’un système destructeur est saine, légitime et contagieuse.

L’infatigable Arno Bertina prête à nouveau sa plume à une vérité glaçante (pour mémoire, “L’âge de la première passe” sur la prostitution de toutes jeunes femmes au Congo) et interroge humblement le regard et la langue qu’il pose sur ces moments de vie.

Un récit sombre dans ce qu’il nous dit du monde dans lequel nous vivons et en même temps empreint de l’espoir et de l’énergie communicative qui se dégage du portrait de ces femmes et de ces hommes qui ont tenu tête. Une lecture juste et nécessaire, d’une humanité spontanée, simple et sincère.

Élise sur les chemins de Bérengère Cournut

Je ne suis prisonnier d’aucune colline !

Je défie les truites et les anguilles !

(…) Les seules lois valables sont celles qui président à la croissance des salades.”

Élise vit dans la montagne entourée de ses frères et sœurs… Elle apprend de la nature et des êtres qui la composent, omniprésents autour d’elle. Lorsque les deux ainés de la fratrie, Onésime et Élisée, quittent le nid pour aller “apprendre la terre“, c’est un déchirement pour Féline et Lion, les parents, et pour leurs nombreux enfants restés à leurs côtés.

Si Onésime choisit de poursuivre sagement ses études, Élisée fait le choix du voyage et parcourt le monde…

Un beau jour, une lettre annonçant le retour des deux garçons “Là où sont (leurs) racines“, le regard acéré et les conseils d’une mystérieuse “vouivre” tapie dans les eaux du ruisseau entrainent Élise sur les chemins en direction de Onésime et Élisée.

Un roman onirique et poétique, en vers aussi libres que furent la vie familiale et le parcours de Élisée Reclus dont il est question dans ces pages. Pionnier de la géographie sociale, écolo et végétarien avant l’heure (!), défenseur de l’éducation populaire et de l’union libre, militant anarchiste et grand voyageur… à la lumière de ses quelques éléments, le texte de Bérengère Cournut résonne différemment…

Dans nos rayons le 14 octobre.

Tala de Camille Tisserand et Catherine Latteux

Nous avions adoré “Loupiote” et ce nouvel album, “Tala”, de Camille Tisserand et Catherine Latteux aux Éditions Père Fouettard est un nouveau bijou…

Tala a grandi… D’abord hostile et méfiante lorsqu’elle rencontre un homme dans la forêt, ces deux êtres vont finalement “s’apprivoiser” et c’est ensemble qu’ils rendront à la belle louve tout l’amour qu’elle a donné au bébé abandonné qu’a été Tala.

Des illustrations sublimes pour une jolie histoire d’amour entre l’animal et l’humain.

Un coup de cœur ❤… pour les petits et les grands !

Tananarive de Sylvain Vallée et Mark Eacersall

” Je vais à Tananarive.

où ?

À Charleville-Mézières.”

Amédée, notaire à la retraite, aventurier de canapé et hypocondriaque encore en activité, n’a rien d’un enquêteur chevronné. À la mort de son ami et voisin, Jo, dont il aimait écouter les aventures rocambolesques, le vieil homme va pourtant se lancer dans un road trip farfelu pour retrouver la piste du fils inconnu de son vieux compère.

Ce polar décalé, dont le héros sent franchement la naphtaline, entraine le lecteur dans des coins bien moins exotiques que ce qu’il pourrait l’envisager à la lecture des premières pages… Mais le charme opère très rapidement !

On se laisse embarquer à la suite de Amédée qui, au fil de son enquête sur la vie réelle de feu son acolyte, en découvrira tout autant sur lui-même que sur Jo…

Un roman graphique initiatique, touchant et plein d’humour qui fait la part belle au “grand (et bel) âge” et nous rappelle ô combien il n’est jamais trop tard.

Eye Track de Sébastien Rutés

Qui a tort ? Elle qui montre ou lui qui regarde ? (…)

– Qu’est-ce qu’on fait ? On cache le sein ou on interdit de le regarder ?

– On le cache, répondent les uns.

– On interdit de regarder, répondent les autres.

– Ni l’un ni l’autre ! On l’éduque pour qu’il contrôle ses mauvaises pensées ! On lui apprend à comprendre ce qu’il voit et à regarder avec discernement !”

“On a le droit de ne pas être regardés tant qu’on est toujours vus.”

2019. Les destins de Margaux, Lucas et Romain se télescopent lors d’une manifestation pour le droit des femmes. Avec leurs choix et leurs convictions, la militante femen, le photographe et le policier posent les bases de la société dans laquelle vivront leurs enfants.

2047. Thémis, la fille de Romain, et Hermès, le fils de Margaux et Lucas, grandissent avec les œillères imposées par le gouvernement. Les lunettes Eye Track devenues obligatoires dans l’espace publique floutent et redessinent le réel selon le bon vouloir des dirigeants. Mais comment être réellement libre dans une société où VOIR est devenu le plus grand des tabous ?

Avis lancés aux parents qui ne répondent pas à leurs enfants : “Ça ne te concerne pas, c’est des trucs d’adultes que tu comprendras plus tard !” et qui ne considèrent pas leurs chères têtes blondes comme de petites choses fragiles à préserver de la rudesse du monde, ce texte court, dense et explosif est un condensé de pertinence. Loin de donner des réponses toutes faites et de proposer un point de vue unique et partial, “Eye Track” décortique à travers de multiples angles d’approche les dérives et les manipulations d’une société totalitaire dotée d’une main mise absolue sur ce qui nous est donné à voir.

Sébastien Rutés ne délaisse aucune piste et, tout en finesse et en nuances, passe au crible du pour et du contre les nombreux débats suscités par la question du regard, que ce soit celui que l’on pose ou celui dont on est l’objet.

Un grand coup de cœur ! Dès 12 ans et sans aucune limite d’âge.

La collection “Faction” – IN8 éditions

La collection Faction des éditions IN8 s’adresse à nos ados à partir de 12 ans et aborde sans amorti les thèmes et les enjeux qui font le quotidien de la société. Confrontés au flot continuel des faits et des informations déversés par les médias, les réseaux sociaux et notre propre parole dans le cercle familial, difficile pour eux de faire le tri et d’y voir clair. Ces romans sans mièvrerie sont de parfaits outils pour les encourager à s’interroger, se révolter et s’engager dans le monde dans lequel ils vivent et pour celui qu’ils choisiront de bâtir à l’avenir.

Pour les autres titres de la collection, c’est par là que ça se passe ! https://www.editionsin8.com/catalogue/product/listing/230-collection-faction