Archives de catégorie : ♥ Coups de coeurs de Pryscilla ♥

Jean-Blaise tombe amoureux de Émilie Boré & Vincent

“Mais de qui peut bien tomber amoureux un chat qui se prend pour un oiseau ?”

Un nouvel opus des aventures de Jean-Blaise, le chat qui voulait être un oiseau 🥰

Entouré du docteur Gruffi et d’une de ses patientes chauve comme un caillou qui se rêve cantatrice, Jean-Blaise perfectionne ses talents de chanteur lorsqu’un matin, son regard croise celui de Tsubasa, le poisson rouge. Entre eux, c’est le coup de foudre…

“Normalement”, les chats mangent les poissons et détestent l’eau et cette idylle semble complètement impossible mais décidément, Jean-Blaise n’est pas un chat tout à fait comme les autres !

Éditions La Joie de Lire – 15.90 euros

Ruralités de Hortense Raynal

“Il n’y a rien de pire que

les maisons vides.

Les objets délaissés, peut-être. (…)

Tous sont les témoins de ton.

passage. (…)

Souillarde. Peut-être aussi cette pièce si petite qu’elle est

remplie de toi.

Ces murs en pierre qui seuls savent, privilège immense,

tes.

heures de solitude en leur sein.

Cet endroit qui n’appartient qu’à toi et où tu.

as avoué tellement, où tu as crié tes.

colères, donnés tes.

conseils, où tu.

as transmis, l’air de rien, sans t’arrêter.

Ce legs, ton legs, mon legs.”

Un recueil poétique au souci du détail presque documentaire avec toutes ses terres dans la gorge pour raconter les lieux de l’enfance, la réalité douce et crue du monde agricole, l’aliénation des corps.

Pas de folklore, ni de récit d’un idyllique paradis perdu dans les multiples ruralités qui poussent et s’incarnent dans les mots de l’autrice, en quête, mais de la beauté qui jaillit là où l’on ne l’attend pas…

Les Carnets du Dessert de Lune – 15 euros.

Le Meunier Hurlant de Nicolas Dumontheuil (d’après le roman de Arto Paasilinna)

Un petit village du nord de la Finlande, peu après la guerre, voit arriver un inconnu qui rachète et remet en marche le vieux moulin. D’abord bien accueilli, le nouveau meunier Gunnar Huttunen a malheureusement un défaut : à la moindre contrariété, il se réfugie dans les bois pour hurler à la lune, empêchant les villageois de dormir. Ces derniers n’ont dès lors qu’une idée, l’envoyer à l’asile. Mais Huttunen, soutenu par la conseillère rurale Sanelma Käyrämö, est bien décidé à se battre pour défendre sa liberté.

Joie de retrouver les inoubliables personnages du roman de Arto Paasilinna dans cette adaptation BD tout en sépia aussi génialement décalée que l’œuvre dont elle s’inspire…

Futuropolis éditions. 24 euros.

Border la bête de Lune Vuillemin

Elle brassait de la bière en dansant et Frank a perdu le rythme. Elle a voulu retirer les tiques de sa fourrure et l’orignale n’a pas survécu.
C’est un roman d’amour et de mort et de mort et d’amour. Au bord des lacs, sur les berges de Babine, dans la cabane d’Arden, au cœur de l’herbier sonore qu’elle compose avec Jeff, elle cherche le sens et sa place dans toute cette nature et, d’araignée en sapin baumier (chemins de coccinelles) ce qu’elle peut faire des sentiments qu’elle éprouve pour celle qui danse avec les coyotes, de cette lumière ambrée qui la talonne et de la bienveillance borgne qui éclaire ses pas.
L’amour, la mort, la jalousie, la colère…
Et la beauté.

La Contre Allée éditions, à paraître le 12 janvier 2024, 19 euros

L’amour de François Bégaudeau

Lorsque Bégaudeau s’empare de la vie d’un couple ordinaire de la classe populaire française aux débuts des années 1970 et l’émancipe de l’atmosphère glauque et « plombante » à laquelle elle est souvent assignée… Presque un demi-siècle d’amour sur fond d’évolution de la société dans un livre court qui en peu de pages et de mots bien choisis donne la place à un quotidien fait de petites choses, sans grands éclats de vie mais débordant de tendresse…

Mississippi, Sophie G. Lucas

“1871,

J’ai vu la foule tomber. Et ça fait beaucoup de bruit des corps qui tombent, je sais pas, les tissus, les corps sur d’autres corps, c’est tout autour le bruit, les tirs, les coups, les cris (moi j’étais silencieux, j’arrivais plus à bouger ni à sortir un mot de ma bouche, c’était fermé, bloqué, c’était comme si mon corps il était plus là, comme si j’étais à l’extérieur de mon corps, c’est ça oui, en dehors), mais c’est pas mon corps que je voyais, c’étaient tous les autres, des corps d’hommes, des corps de femmes, explosions, cris, fracas, boum, cris, chocs.”

Presque deux siècles d’une fresque familiale qui sinue dans l’absolue violence de la société et ses inégalités. Un élan romanesque éblouissant, une écriture puissante qui dévale les pages et roule, sans entrave, comme les eaux d’un fleuve…

Ce sera sur les tables de la librairie le 18 août et nous avons grande hâte de vous en parler !

Mississipi, La Contre Allée éditions, 18 euros.

Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie, Elise Goldberg

“Le shmalts, c’est la graisse d’oie servant à cuisiner, c’est aussi l’excès de sentimentalité.”

Quand les souvenirs affluent par la porte d’un frigo entrouverte ou miam, mes aïeux !

À la mort de son grand-père, la narratrice hérite de cet incontournable équipement de cuisine qu’est son frigidaire. C’est au milieu des victuailles et des plats traditionnels de la cuisine ashkénaze que le roman de sa famille se déroule tels les pages d’un menu.

Si les souvenirs ont un goût, si les souvenirs ont une langue, ils ne sont pas dans la tradition yiddish et sa cuisine spontanément appréciables. Aliments peu sensuels, textures inquiétantes, saveurs fades et vocables boiteux, il faut apprendre à connaître leur histoire depuis les frontières de la Pologne juive pour en apprécier le charme complexe ; il ne saute ni aux papilles, ni aux oreilles. C’est sur cette route que nous entraîne ce livre, sur ce que la culture culinaire et les petites habitudes quotidiennes disent des gens, bien mieux bien plus intimement que de long discours. De toutes ces anecdotes et détails qui, aux yeux d’une petite fille et d’une jeune femme, peuvent agacer, manquent de clinquant, l’autrice fait ressurgir le passé de ce peuple juif polonais obligé de vivre caché, de passer inaperçu, de ne pas attirer l’attention ni susciter l’envie à l’image de ces recettes traditionnelles pas très appétissantes de prime abord. Mais, il existe un au-delà des apparences que l’on rencontre au fil des pages et qui nous entraîne à sa suite vers des histoires de vie prises dans les tourments de l’histoire…

Un premier roman touchant, plein d’humour et de dérision aimante qui à partir de souvenirs très personnels dessinent finement le portrait de toute l’histoire et la culture yiddish.

“Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie”, éditions Verdier, 18 euros.

En librairie le 24 août 2023.

MURmur, Caroline Deyns

“(…) Le CRI est dans l’éCRIre.”

Une société qui jetterait les femmes en prison pour une interruption volontaire de grossesse, avortement et fausse couche reconnus sans distinction comme un homicide aggravé, ça n’est pas imaginable dans nos “pays civilisés”… Qui irait imaginer qu’une femme violée, enceinte et dénoncée par son bourreau puisse être inquiétée par la justice si elle prenait la décision de ne pas mener sa grossesse à terme ? Femmes vendues, mariage forcée, procréation à la chaîne, elle est longue et incomplète la liste de tout ce qui asservit les femmes et qui semble, ici et maintenant, parfaitement impensable.

“Je voudrais avoir le courage de la démence.”

La narratrice s’adresse à nous depuis les murs de la cellule dans laquelle elle a été incarcérée après une fausse couche. Emmurée dans son propre corps, une histoire transmise de bouche à oreille de femme en femme contient les clefs de l’insurrection…

Parce qu’elle trace sur le papier “ces explosifs qu’elle transporte que l’on appelle des mots”(1), ce savoir aux allures de conte prémonitoire tenu secret pour que perdure l’oppression, enfle, se transmet, se répand parmi “les captives, les muselées et les ignorantes” et s’infiltre dans la moindre fissure jusqu’à faire exploser les injonctions imposées à toutes les femmes.

Cette lecture a le pouvoir de faire se raréfier l’air, de gagner chaque pore de la peau jusqu’à la chair de poule, de provoquer une très saine envie de révolte et une profonde réflexion… Parce que la transmission de la mémoire et de l’histoire commune est incontournable pour échapper au retour en arrière qui ne serait pas s’en déplaire à certains.es, ce livre est indispensable ! (Non, ce n’est pas dingue, c’est même plus que réel pour les femmes au Salvador, pour les Américaines… etc.). Un texte à mettre entre toutes les mains y compris celles de nos grandes ados qui y découvriront peut-être pour certaines un pan, si récent, de l’histoire des luttes des femmes et continueront cette chaîne de transmission sans baisser la garde.

“(…) toute loi est réversible.”

Un immense coup de cœur pour ce texte dont la finesse et l’intelligence n’ont d’égales que la force pure.

“MURmur”, éditions Quidam, 19 euros. En librairie le 22 août 2023

  1. https://www.cambourakis.com/tout/sorcieres/je-transporte-des-explosifs-on-les-appelle-des-mots/

La Sentence de Louise Erdrich

“On ne se remet pas de ce qu’on a fait aux autres aussi facilement que de ce que les autres nous ont fait.”

Comment expliquer devant la justice que ce qui ressemble à du recel de cadavre aggravé par une accusation de trafic de drogue n’est en réalité qu’une presque gratuite preuve d’amour doublée d’un coup monté ?

Tookie en fait l’amère expérience et ses origines ojibwées ne jouent pas en sa faveur face à la partialité du juge. La sentence tombe, soixante ans de réclusion, et c’est derrière les barreaux que sa rencontre avec les mots esquisse les contours de la suite de son parcours.

Sortie de prison, après dix ans d’incarcération grâce au travail acharné de son avocat, mariée à Pollux qui, par amour, lui a passé les menottes le jour de son arrestation, Tookie devient “soupe d’alphabets” au sein de la librairie fondée par une certaine Louise Erdrich à Minneapolis dans le Minnesota.

Elle apprend la saveur d’un bonheur ordinaire sans vraiment croire y avoir droit, se frotte aux questionnements sur la maternité avec la jeune Hetta qui la ramène à toute l’âpreté de sa relation à sa propre mère, essaie de trouver ce délicat juste milieu entre vivre en préservant les traditions et s’accommoder de l’implacable réalité de ce que sont devenues les cultures amérindiennes après des décennies passées sous le rouleau compresseur d’une domination aussi blanche qu’ethnocentrée et bien décidée à les faire disparaitre.

Devenue une libraire passionnée et passionnante, elle devra faire face aux demandes et exigences les plus déroutantes de ses lectrices et lecteurs dont la très agaçante Flora qui même décédée ne semble pas vouloir quitter la librairie.

Vivants ou morts, chacune et chacun des personnages est hanté ou peut-être se hante, se bat contre ses propres fantômes et ne peut leur échapper qu’en concédant à une profonde introspection… Toutes celles et tous ceux qui habitent ce roman ne pourront s’y dérober pour espérer se réconcilier avec ce qui les a longuement modelés et, enfin aspirer à continuer en paix.

Sur fond de la crise Covid qui a ébranlé le monde et des émeutes dénonçant la brutalité inacceptable du meurtre de Georges Floyd, Louise Erdrich plonge dans l’histoire des peuples amérindiens, frères et sœurs de douleur de toutes les minorités qui aujourd’hui comme hier sont la proie des violences du pouvoir et de sa police.

Comment se pouvait-il que les manifestations contre les violences policières fassent si clairement la démonstration du degré de violence de la police ?

Roman historique et forcément politique, histoire(s) d’amour, d’amitié, de pardon et de solidarité, tragi-comédie qui vous fera passer du sourire, en découvrant que l’on peut se crêper le chignon autour d’un feu pour savoir quel est le meilleur riz sauvage, à l’indignation pure en vous confrontant à la longue énumération des passages à tabac et meurtres racistes qui marquent l’histoire nord-américaine, “La Sentence” est un grand, très grand roman de l’immense Louise Erdrich.

Tout questionnement induit par ce texte rappelant les débats qui secouent aujourd’hui l’opinion publique dans notre pays n’est pas a considéré comme fortuit 🙂

Coup de cœur à retrouver à la librairie le 6 septembre 2023.

“La Sentence”, coll. Terres d’Amérique, éditions Albin Michel, 23.90 euros

Kramp de Maria José Ferrada

Chili, années 1960.

M, une petite fille, accompagne son père, représentant en quincaillerie pour la marque “Kramp” sur les routes.

De cafétérias en hôtels, de villes en villages, elle dessine, avec son regard candide autant que scrutateur, le portrait d’un Chili à hauteur de ses yeux d’enfants.

Les représentants de commerce et leurs histoires incroyables, son père, D, avec ses chaussures cirées au volant de sa 4L, E, l’ami photographe qui poursuit les fantômes remplacent de plus en plus souvent les apprentissages sur les bancs de l’école.

Une autre vision du monde et un père non pas “inconscient” mais “pionnier de la pédagogie systémique”… Un monde aussi rutilant, pour la petite M, qu’une scie toute neuve qui cache pourtant des fêlures et une réalité politique, sociale et économique bien plus sombre sur laquelle la rencontre avec un “insecte de la destinée” et l’entrée dans l’adolescence l’obligeront à lever le voile.

Un texte bercé de mélancolie, doux et féroce, qui raisonne longtemps une fois la dernière page tournée.