Mon Maître et Mon Vainqueur de François-Henri Désérable

Avant d’être un amoureux transi et désespéré se trimballant à dos d’âne et armé du Lefaucheux à six coups calibre 7mm, acheté sur un accidentel coup de tête dans une vente aux enchères et avec lequel Verlaine a tiré sur Rimbaud dans une chambre d’hôtel à Bruxelles, Vasco était surtout conservateur dans la Grande Réserve de la BNF.

Statut professionnel qui, en lui permettant d’accéder aux plus précieux manuscrits de l’histoire de la littérature, lui a donné un fabuleux prétexte pour attirer jusqu’à lui Tina dont il était tombé sous le charme chez un ami commun.

“La Grande Réserve

Mais nous deux, sur la réserve

(Puis toi sur la table)”

Tina se laisse emporter par cette passion amoureuse qui vient mettre à mal le calme apparent de sa vie de mère et de future épouse. Toute ballottée qu’elle est entre le besoin de stabilité qu’elle trouve auprès du très prévisible Edgar et le souffle de liberté un peu folle que sème Vasco dans sa vie, elle se confie, au fil de leur relation, à l’ami qui nous racontera l’histoire.

C’est dans le bureau d’un juge que l’on retrouve “l’ami”, doublement témoin, narrateur de leur folle passion et interprète des écrits de Vasco sur un cahier intitulé “Mon Maître et Mon Vainqueur” soit une vingtaine de poèmes qui dévoile les moments “clef” de l’histoire de Tina et Vasco.

Léger et plein d’humour, ce roman pose un regard juste et sans mièvrerie sur l’amour et décortique subtilement les mécanismes des sentiments. Succulent !

Plasmas de Céline Minard

Quand un animal dévore sa progéniture, on lui ôte sa portée et on l’abat. Quand une espèce se multiplie sans rapport avec ses possibilités de survie, elle offre ses enfants à l’environnement, elle les voue à la pourriture, à reconstituer l’humus qu’elle a lessivé, elle fait de sa descendance la table de son festin renouvelé.”

Le/Les mondes d’après sous la plume de la talentueuse Céline Minard qui confirme par ce nouveau recueil l’incroyable beauté de sa plume et l’acuité de son regard sur l’avenir de l’humain.

Alarme préventive et prophétique face à l’urgence écologique et hommage au génie adaptatif du vivant, les dix nouvelles qui composent “Plasmas” forment un ensemble pour dessiner demain.

Entre anticipation et vérités scientifiques, entre réel et imaginaire, les genres et les espèces s’entremêlent et s’hybrident pour tous les possibles, les probables, les peut-être, qu’ils soient finalement ce que l’on peut envisager de meilleur ou de pire.

Sœurs et frères, de Séverine Huguet

Une petite fille fait la course avec sa maman : celle-ci prend l’ascenseur et elle les escaliers. Elle est sûre de gagner… mais à chaque palier une porte ouverte l’attire et elle découvre des frères et sœurs jouant ensemble . Voilà de quoi lui donner hâte d’accueillir le bébé à naître pour avoir quelqu’un avec qui s’amuser aussi !

Un bel album, tendre et drôle à partir de 4 ans.

L’écorce des choses, de Cécile Bidault

Une Bd douce et poétique, qui nous plonge dans le quotidien et les rêveries d’une petite fille sourde. L’absence de texte nous confronte au silence qui compose son monde et le dessin prend tout son sens.

Une jolie BD qui aborde le thème de la surdité et très accessible.

Lorsque le dernier arbre de Michael Christie

2038. Les arbres ont progressivement disparu de la surface de la Terre et seules quelques bribes de verdure étonnement intactes témoignent de ce qu’ont pu être les forêts primaires. Voici ce qu’il reste de la planète balayée par des nuages de poussière asphyxiante après ce que l’on a appelé le Grand Dépérissement.

“C’est que seul ce qui est vert empêche le ciel et la terre de s’intervertir.”

La très puissante multinationale Holtcorp, propriétaire de l’un de ces îlots de nature protégée au large de la Colombie-Britannique, en exploite l’attractive rareté auprès de riches touristes prêts à payer des sommes astronomiques pour en fouler les sentiers. Entre ces arbres géants plusieurs fois centenaires, Jacinda use des chaussures qui ne lui appartiennent pas et guide quotidiennement des groupes de privilégiés accros aux selfies et incapables de percevoir la réelle beauté de ce qui les entoure.

Le destin de la jeune femme va brutalement vaciller lorsque lui parvient, par le biais d’un ancien amant aujourd’hui avocat, un mystérieux “livre” susceptible de remettre son avenir en cause… Mais, pour avoir une histoire à raconter, quel sera le prix à payer ?

Ce roman foisonnant et protéiforme joue avec la chronologie et balaie, de 1908 à 2038, plus d’un siècle d’histoire, entre récit familial et fresque sociale empreinte d’écologie. Des forêts canadiennes au Japon, d’une guerre à l’autre, de l’essor de l’industrie à l’exploitation des ressources, la narration s’emballe et entraîne son lecteur dans une lecture qui devient addictive au fil des pages.

Il est également question d’une longue quête des origines et encore davantage d’un questionnement sur ce qui construit le lien entre les individus et ce qui “fait” une famille. Le patrimoine génétique devient foutaise lorsque les sentiments s’en mêlent et l’amour, même si ces formes peuvent surprendre, choquer, déplaire… tient une place centrale dans ces pages.

“Et si la famille n’avait finalement rien d’un arbre ? (…) Si c’était plutôt une forêt ? Une collection d’individus mettant en commun leurs ressources via leurs racines entremêlées, se protégeant les uns les autres du froid, des intempéries et de la sécheresse (…)”

On pense au fantastique “L’Arbre monde” de Powers et les qualités du roman de Michael Christie n’ont rien à envier à ce dernier. Un grand coup de cœur !

Dès le 18 août en librairie, dans la fabuleuse collection “Terres D’Amérique” aux éditions Albin Michel

True Story de Kate Reed Petty

Une bande d’adolescents, classe moyenne américaine… Pas de souci d’argent, d’intégration, libres d’être “jeunes et cons”. Des garçons membres de l’équipe de crosse, qui regardent des filles en s’envoyant quelques bières et un peu de cannabis dans une atmosphère gentiment potache.

Trop d’alcool, Alice inconsciente est raccompagnée chez elle sur la banquette arrière d’une voiture par deux garçons. Ce qui s’est passé, Alice ne s’en rappelle pas et n’a d’autre choix que de croire ce qui est dit. Le rôle dévastateur de la parole commence alors son œuvre.

Il est bien moins question de ce qui est arrivé que de l’engrenage infernal dans lequel les protagonistes vont plonger. La rumeur, qui va se répandre comme une traînée de poudre traverse, façonne chacun des personnages et interroge brillamment la question de la responsabilité…

La construction de ce premier roman de Kate Reed Petty, brillante et maîtrisée, constitue “l’élément clef” du récit : comment raconter ce que l’on ignore et comment se raconter dans une souffrance impossible à affronter ?… Tout est en nuance, sur le fil et aucun de ceux qui sont liés à cette histoire, à la fois tragique et banale, n’est finalement ni complètement coupable ni tout à fait innocent.

Oui, il est évidemment question d’agression sexuelle, de viol, sujet tristement “en vogue” dans les médias et la littérature ces dernières années mais ce qui en est dit dans ces pages va bien au-delà des polémiques actuelles. Le réel et la vérité font-ils le poids face aux certitudes ancrées au fin fond d’un cerveau ? Libre au lecteur de se faire sa propre opinion en refermant le livre, il aura toutes les cartes en main…

Un roman “coup de poing”et profondément juste. A paraître aux éditions Gallmeister le 19 août…