Archives de catégorie : Littérature

Mahmoud ou la montée des eaux de Antoine Wauters

“… Dire une terre qui survit au massacre de l’enfant.”

Verdier éditions, à paraître le 26 août.

“Moi, Mahmoud Elmachi, je n’espère plus rien”

Mahmoud Elmachi n’a pas pas toujours été ce vieil homme ravagé par la solitude qui a trouvé refuge dans un cabanon sur les berges du lac el-Assad, au nord de la Syrie. Il n’a pas toujours été ce père et ce mari rongé par la douleur qui chaque jour, comme une bouteille lancée à la mer, dépose trois tartines de concombre et de fromage de chèvre sur de petits monticules de pierres.

Avant que Mahmoud ne rame et ne plonge, mains tendues vers son passé, il y avait une autre vie, d’autres vies… Enseignant, homme de lettres et poète, Mahmoud a voyagé, il a écrit, aimé Leïla et Sarah, “enfanté”, il a été un homme libre et heureux malgré les épreuves que la vie a mises sur sa route.

Dans les profondeurs des eaux du lac reposent ses souvenirs d’enfance et de jeunesse engloutis avec son village par la construction du barrage de Tabqa en 1973, vaniteux projet de Hafez el-Assad, père de Bachar, destiné à dompter les caprices de l’Euphrate.

1987. Le basculement… Mahmoud est jeté en prison à son retour de l’étranger et passera trois longues années dans les geôles syriennes à payer durement son refus de participer à la propagande du régime. En 1990, la mort du “petit père du Baas” et l’accession au pouvoir du fils, Bachar, apparaissent comme un espoir… Bien vite déçu, l’espoir…

Guerre civile, printemps arabes et répression. Une nouvelle page de violence s’ouvre et emporte avec elle les enfants de Mahmoud partis combattre aux côtés des opposants au pouvoir. Au loin, au pied du barrage, le bruit sourd des combats sonne comme le rappel permanent d’une histoire qui n’en finit pas avec la brutalité…

Un texte sombre, qui à travers celui de Mahmoud et des siens, dépeint le destin de tout un peuple, de tout un pays, qui depuis ses premières tentatives d’indépendance dans les années 1920 ne baisse pas les bras face à l’oppression et la dictature. Et de la lumière, tellement de lumière et de beauté dans ces pages en vers libres qui, au-delà des questions géopolitiques contemporaines, nous parlent d’amour et “(d’)histoires de lune, d’eau et de vent”.

Un immense coup de cœur.

Du même auteur, en collection Folio aux éditions “Gallimard”, le sublime “Pense aux pierres sous tes pas”

Mon Maître et Mon Vainqueur de François-Henri Désérable

Avant d’être un amoureux transi et désespéré se trimballant à dos d’âne et armé du Lefaucheux à six coups calibre 7mm, acheté sur un accidentel coup de tête dans une vente aux enchères et avec lequel Verlaine a tiré sur Rimbaud dans une chambre d’hôtel à Bruxelles, Vasco était surtout conservateur dans la Grande Réserve de la BNF.

Statut professionnel qui, en lui permettant d’accéder aux plus précieux manuscrits de l’histoire de la littérature, lui a donné un fabuleux prétexte pour attirer jusqu’à lui Tina dont il était tombé sous le charme chez un ami commun.

“La Grande Réserve

Mais nous deux, sur la réserve

(Puis toi sur la table)”

Tina se laisse emporter par cette passion amoureuse qui vient mettre à mal le calme apparent de sa vie de mère et de future épouse. Toute ballottée qu’elle est entre le besoin de stabilité qu’elle trouve auprès du très prévisible Edgar et le souffle de liberté un peu folle que sème Vasco dans sa vie, elle se confie, au fil de leur relation, à l’ami qui nous racontera l’histoire.

C’est dans le bureau d’un juge que l’on retrouve “l’ami”, doublement témoin, narrateur de leur folle passion et interprète des écrits de Vasco sur un cahier intitulé “Mon Maître et Mon Vainqueur” soit une vingtaine de poèmes qui dévoile les moments “clef” de l’histoire de Tina et Vasco.

Léger et plein d’humour, ce roman pose un regard juste et sans mièvrerie sur l’amour et décortique subtilement les mécanismes des sentiments. Succulent !

Plasmas de Céline Minard

Quand un animal dévore sa progéniture, on lui ôte sa portée et on l’abat. Quand une espèce se multiplie sans rapport avec ses possibilités de survie, elle offre ses enfants à l’environnement, elle les voue à la pourriture, à reconstituer l’humus qu’elle a lessivé, elle fait de sa descendance la table de son festin renouvelé.”

Le/Les mondes d’après sous la plume de la talentueuse Céline Minard qui confirme par ce nouveau recueil l’incroyable beauté de sa plume et l’acuité de son regard sur l’avenir de l’humain.

Alarme préventive et prophétique face à l’urgence écologique et hommage au génie adaptatif du vivant, les dix nouvelles qui composent “Plasmas” forment un ensemble pour dessiner demain.

Entre anticipation et vérités scientifiques, entre réel et imaginaire, les genres et les espèces s’entremêlent et s’hybrident pour tous les possibles, les probables, les peut-être, qu’ils soient finalement ce que l’on peut envisager de meilleur ou de pire.

Lorsque le dernier arbre de Michael Christie

2038. Les arbres ont progressivement disparu de la surface de la Terre et seules quelques bribes de verdure étonnement intactes témoignent de ce qu’ont pu être les forêts primaires. Voici ce qu’il reste de la planète balayée par des nuages de poussière asphyxiante après ce que l’on a appelé le Grand Dépérissement.

“C’est que seul ce qui est vert empêche le ciel et la terre de s’intervertir.”

La très puissante multinationale Holtcorp, propriétaire de l’un de ces îlots de nature protégée au large de la Colombie-Britannique, en exploite l’attractive rareté auprès de riches touristes prêts à payer des sommes astronomiques pour en fouler les sentiers. Entre ces arbres géants plusieurs fois centenaires, Jacinda use des chaussures qui ne lui appartiennent pas et guide quotidiennement des groupes de privilégiés accros aux selfies et incapables de percevoir la réelle beauté de ce qui les entoure.

Le destin de la jeune femme va brutalement vaciller lorsque lui parvient, par le biais d’un ancien amant aujourd’hui avocat, un mystérieux “livre” susceptible de remettre son avenir en cause… Mais, pour avoir une histoire à raconter, quel sera le prix à payer ?

Ce roman foisonnant et protéiforme joue avec la chronologie et balaie, de 1908 à 2038, plus d’un siècle d’histoire, entre récit familial et fresque sociale empreinte d’écologie. Des forêts canadiennes au Japon, d’une guerre à l’autre, de l’essor de l’industrie à l’exploitation des ressources, la narration s’emballe et entraîne son lecteur dans une lecture qui devient addictive au fil des pages.

Il est également question d’une longue quête des origines et encore davantage d’un questionnement sur ce qui construit le lien entre les individus et ce qui “fait” une famille. Le patrimoine génétique devient foutaise lorsque les sentiments s’en mêlent et l’amour, même si ces formes peuvent surprendre, choquer, déplaire… tient une place centrale dans ces pages.

“Et si la famille n’avait finalement rien d’un arbre ? (…) Si c’était plutôt une forêt ? Une collection d’individus mettant en commun leurs ressources via leurs racines entremêlées, se protégeant les uns les autres du froid, des intempéries et de la sécheresse (…)”

On pense au fantastique “L’Arbre monde” de Powers et les qualités du roman de Michael Christie n’ont rien à envier à ce dernier. Un grand coup de cœur !

Dès le 18 août en librairie, dans la fabuleuse collection “Terres D’Amérique” aux éditions Albin Michel

True Story de Kate Reed Petty

Une bande d’adolescents, classe moyenne américaine… Pas de souci d’argent, d’intégration, libres d’être “jeunes et cons”. Des garçons membres de l’équipe de crosse, qui regardent des filles en s’envoyant quelques bières et un peu de cannabis dans une atmosphère gentiment potache.

Trop d’alcool, Alice inconsciente est raccompagnée chez elle sur la banquette arrière d’une voiture par deux garçons. Ce qui s’est passé, Alice ne s’en rappelle pas et n’a d’autre choix que de croire ce qui est dit. Le rôle dévastateur de la parole commence alors son œuvre.

Il est bien moins question de ce qui est arrivé que de l’engrenage infernal dans lequel les protagonistes vont plonger. La rumeur, qui va se répandre comme une traînée de poudre traverse, façonne chacun des personnages et interroge brillamment la question de la responsabilité…

La construction de ce premier roman de Kate Reed Petty, brillante et maîtrisée, constitue “l’élément clef” du récit : comment raconter ce que l’on ignore et comment se raconter dans une souffrance impossible à affronter ?… Tout est en nuance, sur le fil et aucun de ceux qui sont liés à cette histoire, à la fois tragique et banale, n’est finalement ni complètement coupable ni tout à fait innocent.

Oui, il est évidemment question d’agression sexuelle, de viol, sujet tristement “en vogue” dans les médias et la littérature ces dernières années mais ce qui en est dit dans ces pages va bien au-delà des polémiques actuelles. Le réel et la vérité font-ils le poids face aux certitudes ancrées au fin fond d’un cerveau ? Libre au lecteur de se faire sa propre opinion en refermant le livre, il aura toutes les cartes en main…

Un roman “coup de poing”et profondément juste. A paraître aux éditions Gallmeister le 19 août…

Vers le soleil, de Julien Sandrel

Pour Sienna, Sacha est un oncle un peu fantasque. En réalité, il est un comédien engagé par sa mère pour palier l’absence de son père. Mais quand Tess disparaît, Sacha réalise que son attachement à la fillette est bien plus profond qu’il ne le pensais. Alors qu’on ignore si Tess est encore en vie, Sacha cache la vérité à la fillette et réalise qu’il est prêt à tout pour qu’on ne les sépare pas…

Le serpent Majuscule, de Pierre Lemaître

Mathilde, la soixantaine, est une petite dame qui se fond dans la masse. Pourtant, sous ses airs de mamie un peu bougonne se cache une tueuse redoutable qui exécute ses missions sans un accro. Mais voilà qu’avec l’âge sa mémoire lui joue des tours, ce qui, combiné à une gâchette un peu facile, n’est pas sans faire d’innocentes victimes…

Un roman noir drôle et savoureux sur les traces d’une vieille dame aussi attachante que déjantée.

Le Fleuve des rois de Taylor Brown

L’Altamaha River, en Géorgie… fil conducteur de ce roman aussi noir que précis sur le fond historique.

Trois histoires alternent et se répondent entre légendes et faits réels. Les chapitres enchainés avec la régularité d’un métronome maintiennent le récit dans une tension permanente.

La narration remonte le fil du temps depuis l’expédition française de 1564 pendant laquelle les volontés de conquête et la fièvre de l’or amèneront morts et débâcle. Vient l’histoire de Hiram, pêcheur à la personnalité trouble entre violence et sensibilité à fleur de peau, dont les circonstances de la mort laisse planer le doute. Et enfin, la descente en kayak de la rivière des deux fils de Hiram pour disperser les cendres de leur père dans l’océan… et éclairer, peut-être les zones d’ombre de la disparition de leur père.

Que cache réellement le fond de l’eau ? Et le coeur de ces hommes ?

La lutte et les guerres, sont continuellement présentes… qu’il s’agisse d’affrontement tribal, de se nourrir, de survivre, de sortir la tête de l’eau dans une vie peu accommodante, de conquérir l’amour d’une femme, d’avoir le dessus sur son frère… Le lâcher prise n’est jamais au rendez-vous entre les pages de ce roman.

S’il fouille les aspect d’une nature humaine souvent multi-facettes dans laquelle l’ombre et la lumière s’affrontent, Taylor Brown jongle également avec des préoccupations écolo et ses descriptions de la nature, sublime et hostile, n’ont rien à envier aux plus grandes plumes du genre… Les adeptes de Ron Rash et de Peter Heller s’y retrouveront !

Une belle découverte et un vrai coup de coeur.

La rivière de peter heller

Dans le Nord du Canada, Wynn et Jack se lancent dans une aventure en canoé attendue de longue date, la descente du fleuve Maskwa.

Animés par l’énergie de leur jeunesse, complémentaires et unis par une solide amitié parfois teintée d’une certaine rivalité “virile” sur les questions de pêche et de lecture de la nature qui les entoure, tous les éléments semblent réunis pour que les deux garçons profitent d’une belle promenade bucolique à travers des paysages sublimes et sauvages.

Si Jack avait la vue aiguisée d’un chasseur, Wynn avait beaucoup plus d’expérience en eaux vives et remarquait les lignes et les trous dans les rapides, là où Jack ne voyait que le chaos (…)

Mais, ce roman est signé Peter Heller, tout n’est donc pas si idyllique ! Et l’excursion au grand air prend rapidement une toute autre dimension… Alors qu’un immense brasier enflamme la forêt, les deux hommes devront faire face à l’urgence pour sauver leur peau.

Face aux dangers qui les menacent, chacun découvre chez l’autre un visage jusqu’alors inconnu et la tension va crescendo avec les épreuves que la situation de plus en plus compliquée leur impose. Le froid, la faim et les aléas de cette bonne vieille nature humaine, rien ne leur sera épargné.

Peter Heller, dans ce quatrième roman traduit chez Actes Sud confirme encore une fois que son amour de la nature et de l’aventure n’a d’égal que son goût pour le roman noir. Une descente de rivière vertigineuse qui fait rimer supense, poésie et “nature writing” sans jamais se départir d’une solide humanité… Laissez-vous embarquer !

Je vais enfoncer une porte (facilement) ouverte et vous dire que tout cela à un petit goût de “Délivrance” (avis aux amateurs ! pas de banjo mais quelques notes de guitare)… et une pensée également pour le “Sukkwan Island” de David Vann.

Du même auteur, La Constellation du chien (Actes Sud, 2013), Peindre, pêcher et laisser mourir (Actes Sud, 2015) et Céline (Actes Sud, 2015 et 2019).

Les papillons, de Barcella

Alexandrin, doux rêveur, désenchante lorsqu’il prend conscience que ses papillons ont disparu.
Je les savais ici depuis ma tendre enfance, fidèles et valeureux. Les papillons n’étaient plus là ! Ils avaient déserté mon ventre.”
Ces petits frémissements qui palpitaient au creux du ventre ont laissé place au vide. Il faut les retrouver, réapprendre à aimer. C’est alors qu’arrive Marie…
Comme descendue des cimes où résident les étoiles, telle une épiphanie. Elle s’appelait Marie. C’est l’anagramme d’aimer. Je l’ignorais alors. Je le sais à présent.

Un roman lumineux et enjoué, doux et léger comme une aile de papillon, à la poésie qui fond comme un bonbon sous la langue.