Archives de catégorie : Littérature

La Langue des choses cachées de Cécile Coulon

“(…) Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées. Ils devinent en silence les grands tremblements du corps, les affaissements soudains du sang, ils possèdent le don, la force. Ils se mêlent aux autres et les soignent, les apaisent, ils ressemblent à des hommes et des femmes mais ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu, ils l’ont en eux, ils maîtrisent les flammes.”

La mère connait la langue des choses cachées, elle est celle qui soigne les vivants et accompagne la mort. Ce savoir, le fils en a hérité et cette nuit-là, c’est lui qui prend sa place lorsqu’elle est appelée au chevet d’un enfant mourant.

Mais, Le Fond du Puits, village aussi sombre que le cœur des hommes, recèle bien des secrets… Le fils, confronté à une violence venue du fond des âges et aux stigmates de ce que la mère a noué il y a bien des années, ne peut échapper à son destin ; Il lui faut réparer ce qui a été fait.

Un conte sombre et poétique modelé autour des thèmes de la transmission, de la noirceur de la nature humaine et de la vengeance.

L’Iconoclaste – 17.90 euros

Le Ciel ouvert de Nicolas Mathieu & dessins d’Aline Zalko

Ça pourrait être “L’Amour”de Bégaudeau en version quadragénaire écorché par la vie qui n’a plus le temps de s’asseoir sur la joie.
C’est dit, de page en page, à coups de lattes dans les certitudes et le quotidien.
De caresses données à un être aimé, entre deux claques de réel, à Anatole Latuile, un Buffalo Grill, le premier baiser et l’hôpital témoin du corps du père qui s’effiloche, tout accélère.
L’amour, les amours, les gosses, les parents et le temps qui passe, le sien et celui des autres. Rien de nouveau et pourtant, on chiale, on rit, on se fait du mal, un peu, et beaucoup de bien.
On va en crever de la vie avec sa trajectoire bien fixée qui fait taire les rêves et pourtant on ne renonce vraiment jamais aux grandes paillettes et aux petites embardées.

Un coup de cœur !

Actes Sud – 18.50 euros.

La Bouche pleine de terre de Branimir Sćepanović

Traduit du serbe par Jean Descat

Condamné par un diagnostic médical, un homme décide de rejoindre son Monténégro natal pour y choisir sa mort. Descendu du train au milieu de nulle part, en proie à son propre tumulte et à celui des hommes, il marche.

Une rencontre fortuite avec deux individus qu’il choisit d’éviter marque le début d’un implacable engrenage…

Intrigués par cette réaction, les deux hommes se lancent à sa poursuite bientôt rejoints par d’autres jusqu’à former une horde mue par une haine incontrôlable…

Une traque éperdue, une poursuite en incessant volte face dans laquelle instinct grégaire et fulgurances lucides se disputent place et terrain dans une logique qui échappe à toute logique… Indécis, versatile, complexe, influençable et difficile à suivre, c’est une définition/démonstration sans concession de l’humain.

Le roitelet de Jean-François Beauchemin

Je ne suis plus si jeune maintenant, et pourtant le petit enfant stupéfié que j’étais continue de vivre dans mon corps. Un de ses soucis est d’embellir autant que possible mes jours. Il y parvient surtout en rétablissant en moi presque sans répit une légèreté grave, que j’entretiens d’ailleurs assez mal. Je me suis demandé à la fin, en observant les dernières braises rougeoyer dans le cercle de pierres noircies, si mon frère devenu homme fréquentait encore le petit écolier qu’il a été, ou s’il avait irréparablement pris ses distances avec lui comme il l’a fait avec le reste du Monde.


La campagne, Livia sa femme, le chien Pablo et Lennon le chat en compagnons dans ce petit texte sensible pour dévoiler avec tendresse et pudeur la relation unique du narrateur et de son frère schizophrène.

Si vous avez besoin d’un brin de douceur et de beauté qui résistent dans les remous du quotidien, ce livre est pour vous.

Trop Humain, Anne Delaflotte-Mehdevi

Dans cette petite commune sur le déclin, les habitants du cru voient d’un œil contrarié les nouveaux venus de la ville qui s’installent en communautés aux alentours et surtout l’arrivée d’un incroyable Assistant de Vie Electronique. Derrière le comptoir de l’unique et antique bar, Suzie voit et entend tout, « fascination naïve, envie de possession frustrée du bel artefact, revendication d’une détestation de principe… » Elle-même est assez partagée face à cette machine si proche de l’humain. Bientôt, elle lui confie des souvenirs choisis, la mémoire des siens, et à travers son histoire c’est celle de tout un village et de la France rurale qui se déroule par petites touches.

Un roman porté par une héroïne émouvante et attachante, qui nous plonge en pleine ruralité moderne, dans un petit village ancré dans son passé avec ses commerces figés et ses ragots, mais aussi chamboulé par l’arrivé de néo-ruraux et de la modernité.

Border la bête de Lune Vuillemin

Elle brassait de la bière en dansant et Frank a perdu le rythme. Elle a voulu retirer les tiques de sa fourrure et l’orignale n’a pas survécu.
C’est un roman d’amour et de mort et de mort et d’amour. Au bord des lacs, sur les berges de Babine, dans la cabane d’Arden, au cœur de l’herbier sonore qu’elle compose avec Jeff, elle cherche le sens et sa place dans toute cette nature et, d’araignée en sapin baumier (chemins de coccinelles) ce qu’elle peut faire des sentiments qu’elle éprouve pour celle qui danse avec les coyotes, de cette lumière ambrée qui la talonne et de la bienveillance borgne qui éclaire ses pas.
L’amour, la mort, la jalousie, la colère…
Et la beauté.

La Contre Allée éditions, à paraître le 12 janvier 2024, 19 euros

Les voleurs d’innocence, de Sarai Walker

Sylvia, seule survivante des huit filles de la famille Chapel, voit son passé ressurgir malgré elle et la replonger dans son enfance, quand elle était encore Iris, lorsque tout a basculé avec le mariage de sa sœur ainée… Une plongée dans les années 50 aux côtés de ces jeunes filles qui tentent d’échapper à leur condition, au poids de l’héritage familial, de la folie maternelle, pour être libres.

« Cette histoire a des arrêtes déchiquetées, pourrait infliger de profondes blessures. Ce n’est pas une histoire que je peux raconter avec du fil et une aiguille, cousue à petits points bien nets. Ce sont des tessons ou rien. »

Laissez-vous entrainer dans ce roman gothique sur les traces de ces jeunes filles aux noms de fleurs frappées par un mal mystérieux qui les emporte au lendemain de leurs noces.

L’amour de François Bégaudeau

Lorsque Bégaudeau s’empare de la vie d’un couple ordinaire de la classe populaire française aux débuts des années 1970 et l’émancipe de l’atmosphère glauque et « plombante » à laquelle elle est souvent assignée… Presque un demi-siècle d’amour sur fond d’évolution de la société dans un livre court qui en peu de pages et de mots bien choisis donne la place à un quotidien fait de petites choses, sans grands éclats de vie mais débordant de tendresse…

Étraves de Sylvain Coher

Le Grand Inondoir a envoyé une partie de l’humanité sur les mers où la loi de la débrouille règne en maîtresse alors que “Culs-terreux” et “Pousse-cailloux”, les pieds solidement ancrés sur ce qu’il reste de terre ferme enchevêtrée aux déchets, gardent jalousement leur lopins au sec et loin de cette vile engeance condamnée à l’errance.

À bord du “Ghost”, “cargo gothique” peuplé d’une quarantaine de crève la faim, Petit Roux s’oppose à l’équipage, refuse de se soumettre et soustrait la dépouille de Câline, sa mère, aux papilles de ses congénères. Il choisit la fuite avec l’espoir chevillé au corps d’atteindre le jardin interdit et de lui donner une sépulture digne.

Récit maritime post moderne aux effluves de fable initiatique atemporelle… Traque et course poursuite sur l’océan dans laquelle le sextant côtoie les restes de panneaux solaires et les polymères à la dérive… Subtil mélange entre “Mad Max”, un bon vieux “Waterworld” et “Pirates des Caraïbes”… Critique tout en relief des conséquences de nos choix de société et des travers de notre humanité… Un cocktail détonnant servi dans une langue aussi précise que gouailleuse… Une pépite atypique et savoureuse pour celles et ceux qui aiment intensément s’en laisser conter… 🙂

Actes Sud – 21.80 euros

Les terres animales, de Laurent Petitmangin

Après l’accident, dans cette zone irradiée devenue hostile, ils sont une poignée à ne pas avoir fui. Chacun ses raisons.

« Pourquoi rester ? Question interdite. On se contente de la circonvenir. Par quelques affirmations un peu débiles, c’est pas pire qu’ailleurs, au moins on est tranquilles, par de petites réassurances communes, puis, quand il faut dégainer le lourd : maintenant qu’on a commencé. Ce maintenant qu’on a commencé résume l’espèce de pacte qui nous étreint, il prévient de tout délitement. »

Marc, Alessandro, Lorna, Sarah et Fred ont trouvé un équilibre grâce à leur amitié. Jusqu’à ce qu’un évènement imprévu remette leurs convictions en question.

Un roman touchant et plein d’humanité qui nous entraine dans un lieu suspendu,, hors du monde et hors du temps.