« Hayley veut que tu sois toi-même. C’est tout ce qu’elle veut. » Elle a cligné des yeux et a retiré ses lunettes, a nettoyé les verres avec un coin de sa chemise en flanelle, les a remises et m’a souri avec émotion. « Pour ça, le seul moyen est de suivre ton instinct. Fais ce que tu aimes, toujours. C’est la meilleure façon de rester en sécurité.«

Qu’est-ce qui peut pousser cette jeune femme de 34 ans, Frith, à ouvrir un coffre laissé par sa mère alors qu’il est resté fermé à portée de main sans qu’elle y touche pendant près de 20 ans ? Même si la météo est capricieuse ce jour-là, les raisons sont bien plus personnelles qu’un simple moment d’ennui.
La vie de Frith a déjà changé et les choix qu’elle s’apprête à faire la ramènent à ceux faits par Hayley, sa mère, bien des années auparavant.
Dans cette boîte en bois, elle découvre 30 poèmes soigneusement traduits et rassemblés par Hayley à son attention ; l’histoire de leur vie, l’histoire de leur amour.
Elle n’avait pas tout à fait 7 ans lorsque sa mère a décidé de se couper du monde dans la cabane d’une pommeraie dans le Vermont. Mais pourquoi donc Hayley, traductrice reconnue de la poésie de la dynastie des Tang, principalement de la princesse Li Xue, contemporaine de Li Po, qui a vécu au VIIIème siècle dans l’ouest du Sichuan, a-t-elle soudainement choisi de fuir le monde universitaire et le père de Frith ?
Le retour à la terre des élites intellectuelles n’a rien de bien nouveau pour les natifs de la région qui n’en sont pas à se laisser surprendre par l’arrivée d’une citadine qui souhaite vivre différemment, embarque sa gosse dans l’aventure et galère à s’en sortir. Un cliché si on en restait là… On entend déjà la voix de la gamine cribler cette mère irresponsable de reproches face à l’égoïsme dont elle a fait preuve et on a un peu faux.
Les difficultés sont réelles, mais il y a celles et ceux qui ensoleillent le chemin… Rosie, tisseuse magicienne dont la présence aussi discrète qu’indéfectible suit Hayley et Frith. Bill, dont la douceur trahit le parcours difficile et la souffrance. Les bikers voisins dont les activités pas toujours recommandables laissent planer l’incertitude. Marie, vieillissante et touchante dans son gâtisme, et son piano. Ours, le chien, compagnon fidèle… Et surtout, il y a l’amour d’une mère pour sa fille et vice versa, il y a la joie malgré les hauts et les bas d’un quotidien chaotique et d’un passé à la fois heureux et douloureux. Et elle est bien là toute la beauté de ce texte, dans la magie des moments et des sentiments partagés.
Quelle belle surprise de rencontrer Peter Heller dans « La Pommeraie », il y prend toute sa liberté en regard de ses précédents textes. Vous attendiez peut-être du suspense, du roman noir, de la dystopie ? Ne préjugez-pas et laissez-vous emmener dans d’autres univers, c’est un plaisir ! Une grande finesse et douceur dans le regard posé sur cette incroyable relation mère/fille, sans concéder sur l’attention à la nature et l’affection pour la pêche à la mouche qu’on lui connaît.
Venez, on vous en parle !