Archives de catégorie : Littérature

L’autre moitié du monde de Laurine Roux

« (…) ils ancrent l’utopie. C’est empirique, une révolution, fait de tout un tas de tentatives, d’échecs et d’accidents heureux. Surtout, ça s’arrose de rêve. »

Buriné par la chaleur du soleil et les embruns, le delta de l’Èbre en Espagne dans les années 1930.

C’est dans ces paysages que grandit Toya Vásquez Montalbán, enfant belle et sauvage au tempérament instinctivement rebelle. Et il y a de quoi le ressentir ce besoin de rébellion lorsque l’on voit sa mère, usée par son travail dans les cuisines du château, humiliée et violentée par le fils de l’impitoyable marquise et que l’on regarde son père rentrer à la nuit tombée, terrassé par la fatigue d’une vie de labeur passée dos courbé dans les rizières.

Les riches châtelains, grisés par leur certitude d’une impunité infiniment acquise et indifférents à la condition misérable des paysans qu’ils exploitent, sont bien à l’abri du besoin au sommet de la colline dans leur propriété fleurie et bien loin de tendre l’oreille lorsque les premiers murmures de l’insurrection se font entendre.

La mort, celle de trop, met le feu aux poudres et le petit peuple du delta jusqu’alors à genoux devant les puissants se relève et rejoint le destin de tout un pays. La suite de l’histoire restera un lourd secret au fond du cœur de Toya jusqu’à ce que l’arrivée au village de la jeune Luz ravive les mémoires et délie les langues. L’heure est à la parole et à une (juste) vengeance.

« Une histoire d’amour, de haine et de mort » nous dit la quatrième de couverture.

Plongez et vous y rencontrerez aussi des fantômes qui mangent des fleurs fraîches au bord des routes, des anguilles qui retournent là où elles sont nées, de l’espoir qui jute comme une pastèque en été et un homme qui dit à une femme : « Tú eres la otra mitad del mundo »…

Une pépite avec laquelle l’auteure nous livre une nouvelle facette de son talent d’écrivaine avec un roman ancré dans la réalité historique. Laurine roux se saisit des pages à la fois les plus sombres et les plus emplies d’espoir de l’Histoire espagnole et restitue avec force la lutte pour « la tierra y la libertad » fauchée dans son élan par les horreurs de la Guerre civile et le regard baissé d’une Europe pragmatiquement conservatrice.

Pour les inconditionnels de ses premiers romans qui auraient l’idée de ne pas l’attendre sur ce terrain, ravisez-vous et laissez-vous happer ! Laurine Roux est de celle qui n’écrive pas en rond sans se départir de cette plume magnétique que vous reconnaitrez.

Un immense coup de cœur.

Le sanctuaire paraîtra en poche aux éditions Folio le 3 février 2022

Le sanctuaire, de Laurine Roux

Une immense sensation de calme, de Laurine Roux

Le lac de nulle part, de Pete Fromm

Après deux ans sans nouvelles, Trig et Al sont invités par leur père pour une dernière expédition. Ils s’embarquent pour un mois de camping et de canoë sur les lacs canadiens, comme au bon vieux temps. Mais très vite l’aventure semble plus hasardeuse qu’il n’y parait, surtout avec l’approche du froid en ce mois de novembre. Entre plaisir de se retrouver et souvenirs qui remontent, le doute s’installe quant au véritable but de leur périple.

Un roman au suspens croissant avec des personnages rattrapés par leur passé et les non-dits au milieu d’une nature aussi majestueuse qu’impitoyable.

Le poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin

Suite à un accident, le narrateur, blessé, contemple le monde depuis son lit. Dehors, la neige tombe et la vie s’organise comme elle peut depuis la grande panne d’électricité. “Je suis toujours étendu là et je regarde les journées se donner le relais en espérant que mes jambes pourront me porter de nouveau, un jour. En attendant, Matthias me soigne et me nourrit. Je sais qu’il n’a pas vraiment le choix. Nous sommes prisonniers l’un de l’autre.”

Un huis-clos qui nous emporte dans ce tête à tête contraint entre deux hommes alors que la neige s’accumule, le froid paralysant s’installe, les tensions montent…

Tant que le café est encore chaud, de Toshikazu Kawaguchi

Au cœur de Tokyo se niche en étrange petit établissement doté d’une curieuse particularité : le temps d’un café, on peut remonter le temps. Mais il y a des règles strictes à respecter. Plusieurs personnes vont vouloir s’y risquer, chacune avec ses raisons de vouloir revoir un être cher, même sans pouvoir changer le présent.

Un joli roman plein de douceur qui nous invite à savourer le présent tel qu’il est.

En fin de compte, qu’on aille dans le passé ou dans le futur, le présent ne change pas... Cette chaise ne change peut-être pas le présent, mais si elle change le cœur des hommes, c’est qu’elle a sûrement une signification importante…

Numero deux, David Foenkinos

La vie de Martin a basculé le jour où il n’a pas été choisi. Il grandit avec ce traumatisme d’être resté le numéro deux, incapable de surmonter cet échec et renvoyé en permanence au succès qui aurait pu être le sien. Car il a failli incarner Harry Potter.

Un roman plein de fantaisie qui raconte l’histoire d’un homme qui grandit en croyant être passé à côté de sa vie, soumis à la dictature du bonheur des autres, et essaie de la reprendre en main.

L’île aux arbres disparus, d’Elif Shafak

Ada a grandit en ignorant tout du passé familial jusqu’au jour où débarque sa tante Meryem. Celle ci va alors lui raconter l’histoire complexe de ses parents, l’une turque et l’autre grec dans une Chypre déchirée par la guerre civile.

Un roman sensible où histoire d’amour impossible et secrets de famille nous plonge dans l’histoire chypriote.

Les générations suivantes commençaient‑elles inéluctablement là où leurs devancières avaient renoncé, absorbant toutes leurs déceptions et leurs rêves inassouvis ?

La patience des traces, Jeanne Benameur

Un matin, Simon brise la tasse dans laquelle il boit tous les jours son premier café. Un accident banal qui va ouvrir une brèche en lui. Ce psychologue qui a consacré sa vie à écouter les autres se retire au Japon. Un voyage qui lui ouvre un autre chemin pour voir sa propre histoire, décider de la suite.

Un roman plein de douceur aux côtés d’un homme qui cherche à se réconcilier avec son passé et à l’accepter et qui va trouver la paix sur cette île reculée aux traditions ancestrales et notamment celle du kinstugi : on ne cherche pas à cacher la réparation. Au contraire, on l’a recouvre de laque d’or. On marque l’empreinte de la brisure. C’est une nouvelle vie qui commence.

Moi, Martha et les autres de Antoine Wauters

Vivre comme nous, dit-il encore, c’est marcher au milieu de rues recrues de chiendent, de chardons, de broussailles. C’est sourire sans comprendre pourquoi. C’est beaucoup pleurer.

La civilisation est en lambeaux… là où les causes du chaos restent floues. Un groupe de jeunes gens avancent parmi les décombres et cherchent à survivre au milieu de ce qui reste de leur monde. Repliés dans “la grotte”, ventre presque maternel, limitant les sorties dans un extérieur peu accueillant, ils prendront pourtant “la fuite” et reviendront au monde avec des “raisons d’espérer”…

Que reste t-il de l’être humain une fois l’humanité disparue ? À quoi ou à qui s’accrocher quand plus rien ne dure ? Et comment réinventer les liens qui unissent les hommes lorsque les cadres de la société ont disparu ?…

“Moi, Martha et les autres” sont de ceux qui continuent dans le chaos, rassurés et nourris par la chair des autres, parce que “(…) certaines choses peuvent être récupérées. Il faut seulement apprendre à les retrouver.”

Cruel et tendre, le regard singulier et teinté d’humour de Antoine Wauters sur ces lumineux va-nu-pieds n’est pas sans rappeler son superbe “Pense aux pierres sous tes pas” .

Si vous avez aimé, on continue…

La Dasco de la Cité de H. Morse

Si tu sautes, ton destin est tout tracé ! Si tu renonces, tu pourras voir que rien n’est écrit. Le “destin” n’est qu’une question humaine. Pour que chacun puisse croire qu’il a une place dans ce monde.

Arrachée brutalement à sa famille alors qu’elle n’était qu’une enfant, Diss a vu s’envoler un avenir princier confortable. Vendue par un marchand sans scrupule aux Dasco, elle apprend à se battre et à survivre dans cette confrérie de guerrières menée par la poigne de fer de la Régente. Détestée de cette dernière, Eldes, et de sa protégée, Atlante, la jeune fille puise persévérance et réconfort dans la solide amitié qui la lie à Janvier, l’un des gardes de la porte de la Cité.

Mais, de nombreux secrets bien gardés vont peu à peu refaire surface lorsque la vieille Eldes meurt et qu’une nouvelle Régente doit être choisie. Qu’est-ce donc que cette “Passation” dont peu de Dasco semble avoir entendu parler ? Qui sont donc ces mystérieux moines chargés de “protéger” la dague que tant de monde convoite ? Et quels seront les chemins choisis par Diss et ses compagnons de route pour mener à bien la “mission” que le sort semble vouloir leur confier ?

Le premier tome d’une trilogie qui n’en n’est pas moins un roman à part entière. L’univers, bien ficelé et inspiré de la fantasy, contraste avec des dialogues vitaminés et très contemporains. L’intrigue se balade entre aventure et roman initiatique, avec des personnages forts et attachants animés par des valeurs d’amitié, d’amour et d’engagement, et évite les pièges de la mièvrerie et du moralisme.

Un premier roman dans lequel on se laisse embarquer et dont on attend la suite, début 2022, avec impatience. On ajoute un clin d’oeil au joli travail d’illustration de couverture signé Nelly Bal

Dès 13/14 ans et sans limite d’âge ! à retrouver dans les rayons de la librairie.

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-2/

Pour lire le premier chapitre, c’est par ici :

https://www.voirlepiaf.fr/la-dasco-de-la-cite-le-roman-sonore/

Une certaine raison de vivre, Philippe Torreton

Jean revient de la grande guerre physiquement intact mais intérieurement broyé. Sa rencontre avec Alice le rend à la vie, mais l’amour n’arrive pas à être plus fort que les ravages laissés par la guerre. Seul le souvenir d’un berger provençal croisé avant les conflits parvient, parfois, à le rendre vraiment à la vie.

Alice était sa chance, peut-être même son unique chance de construire quelque chose qui ressemblerait à une vie après cette guerre qui l’avait vandalisé en une longue et violente destruction de chaque jour qui avait tout cassé en lui, tout ce qui ne se voit pas. Pour ce broyé de l’intérieur, chaque jour était une bataille contre des milliers de pensées et autant d’images qui remontaient des bas-fonds comme des remugles.

Un beau texte qui nous plonge dans la difficulté du retour à la vie normal pour un jeune homme traumatisé par la guerre, et qui rend un hommage discret à l’homme qui plantait des arbres de Giono.