Réagir face à l’intimidation et au harcèlement, ça s’apprend…
Le portrait de cette violence « ordinaire » à travers les histoires d’un groupe de jeunes lycéennes et lycéens. Qu’elles et ils soient victimes ou bourreaux, personne n’en sortira indemne et les répercussions de leurs choix d’ado marqueront irrémédiablement les adultes qu’elles et ils deviendront.
Pas de virtuel dans ses pages, personne ne se cache derrière un écran et les face à face entre jeunes n’en sont que plus percutants tant pour eux-mêmes que pour les lecteurs que nous sommes.
Une BD qui ne mâche pas ses mots et souligne la nécessité d’en parler et de parler avec nos ados…
« (…) Nous sommes les hommes creux, nous avons besoin de preuves. Fracturés, schizophrènes sous nos manteaux de pluie, nous ne savons plus où donner de la tête. Trop de réalités, d’avis, de détails, et en même temps plus rien, comme si tout était vide.La génération qui veut se battre, qui devrait trouver du boulot, sauf qu’il n’y en a plus, qui veut décroître, quitter le monde de l’argent mais ne pas en manquer, la génération des constructeurs de cabanes pourtant incapables d’utiliser le marteausans se ficher le clou dans le doigt.
D’où notre stupeur.
Peut-on tenir encore ? Non. Tiendra-t-on ? Oui. Car nous sommes les champions de la contradiction, nos vies entières sont des contradictions. (…) »
Un recueil de nouvelles qui enchainent des « discours » posés le cul entre deux chaises parce que les êtres humains sont « comme ça », complexes et plein de contradictions.
Est ce que c’est un problème ? Ben non, vivre avec ses contradictions n’empêche pas d’agir et de faire du mieux qu’on peut avec ce qu’on a.
On peut rassurer, avec cette lecture, ceux qui se sentent imparfaits et imposteurs, ceux qui dérogent à leurs propres principes, ceux qui culpabilisent, vous n’êtes pas « pas à la hauteur » mais juste humains.
N’hésitez pas à continuer de faire de votre mieux malgré tout pourrait être le message de ce livre poétique empreint de bienveillance à l’égard d’une humanité qui doute.
Ils ne sont pas de ceux qui sont nés du bon côté du ciel. Péniblement, ils s’échinent sous la menace d’une guerre qui gronde au loin, dans la peur des milices qui rôdent et inlassablement, ils creusent le sol…
Sans nom, tapis dans des wagons, leurs regards qui ne portent pas plus loin que le mur, horizon fermé devant eux, il sont ceux avec lesquels l’espoir ne cesse de jouer. D’une voix propre à chacun, ils disent cette existence subie et soumise. La vie, c’est pour les autres, de l’autre côté du ciel.
Reflet métaphorique de ce monde violent et inégalitaire qui est le notre, un texte, beau et déchirant, qui pioche dans les pages sombres de notre mémoire collective.
« J’aime chaque grain de poussière de cette terre que je maudis. Je suis cette terre sur laquelle je crache et qui a accueilli nos cris et nos silences, le corps des êtres aimés dans des rectangles profonds et froids, les roues qui dévalaient la pente vers ces profondeurs putrides dont nous sommes issus. Il ne sert à rien de fuir. Il n’est pas certain que je sois fou. (…)«
J’aime ceux qui doutent, ceux qui ne sont pas frappés par l’évidence du bien fondé d’être là et de savoir y vivre. Seuls les vrais écorchés de la vie sont foutus de poser un regard attentif et tendre sur la merde comme, parfois, sur la beauté du monde et des gens.
Jacques Houssay, il le fait superbement, avec cette écriture à la poésie crue et magnétique qui vous laisse un peu ébouriffés à chaque fin de phrase. Il vous faudra du café, je pense…
– Croire ne serait-ce qu’une seconde que ce monde en a quelque chose à foutre de nous.«
Dans ce trou paumé de l’Ohio, l’exploitation du gaz de schiste fracture et pourrit les sols aussi sûrement que les dérives d’une Amérique en perdition face à ses incertitudes secouent les personnages de ce roman tellement noir qu’il faudrait inventer une nouvelle couleur à lui coller aux pages.
Non, le monde n’est pas binaire. Et tels que nous admettons communément de les concevoir, les méchants et les gentils n’existent pas plus dans ce livre que la morale et la justice dans notre bas monde.
« On dit pas vengeance, (…) c’est pas la même chose, là on se répare, on se rend justice parce que personne d’autre n’est disposé à le faire«
C’est comme ça après pour celles qui ont dit non sans être entendues. C’est comme ça pour les victimes de viol, n’ayons pas peur de dire les mots.
« ARRETE de trembler. voilà, comme ça. Respire on a dit. T’arrête surtout pas de respirer. Regarde pas la traînée sur ton pull, regarde-la pas, on s’en fout si ça partira au lavage, au pire tu le jetteras, tu l’aimais même pas ce pull.«
Et puis après ça continue encore, la peur, l’angoisse, la honte, le sentiment d’y être pour quelque chose dans ce qui est arrivé… Sauf que là ces « sorcières, (ces) sœurs, ces vengeresses, pétroleuses, prêtresses, toutes un peu abimées mais qui ont réussi à se rafistoler comme elles pouvaient » ont décidé que la peur devait changer de camp. C’est par leur blessure qu’elles se reconnaissent les unes dans les autres et puisent ce qu’il faut de colère salvatrice pour essayer d’en sortir, coûte que coûte et parce qu’il n’y a pas d’autre choix.
Un premier roman saisissant et nécessaire, à mettre entre toutes les mains, pour une révolte aussi vitale qu’urgente.
Un texte publié dans la collection « Sorcières » à découvrir aux éditions Cambourakis.
« Tes mots étaient durs mais ton r’gard y me r’gardait bien en face, ton r’gard comme de l’odeur de shampoing ou les bras de ma m’an. Ça fuyait pas. Le r’gard de tout le monde fuyait quand il fallait me r’garder parce que chuis idiot. Ton r’gard bien droit dans mes yeux. C’était d’la tendresse. Tu fuis pas. Tu y vas parce que faut bien que quelqu’un y aille. Tu y vas dans l’amitié ou à la pêche, pareil. Tout droit. Tu regardes les chiens, les idiots ou les filles, pareil. En face. Tu fuis pas.Tu t’y colles parce que faut bien que quelqu’un s’y colle. Toujours mieux de s’y coller en dévalant les pentes en rigolant qu’en abattant les filles qu’ont d’la constellation sur l’corps comme la maladie sur les tomates. Faut bien que quelqu’un arrache l’pied. Toi t’arraches l’pied pas pour les autres tomates, non, mais pour le pied malade. Tu t’y colles parce que faut bien. Et parce qu’y a de la tendresse en toi gamin.«
C’est quoi la tendresse ? l’amitié ? L’amour ?… Exit les images dégoulinantes de bons sentiments, Jacques Houssay n’enfonce pas les portes maintes fois ouvertes pour nous parler de la vie qui est aussi chienne que belle. Un grand texte porté par une voix obsédante de poésie qui charcute jusqu’au fin fond du ventre.
« (…) plus que tout, les hommes redoutent celles qui n’ont pas peur d’eux. »
Forêt boréale au nord du Québec, terre ancestrale des Inuits, éventrée par l’industrie minière.
Dans un couvent niché au fond des bois, Daa voit le jour, fille de vingt-quatre mères dont les mouvements des bras et des corps autour de la fillette se lient jusqu’à devenir ceux d’un unique et géant corps maternel et dont les voix se mêlent pour la bercer « des fils de légendes mélangées« . Portée par la force féminine de ses mères, nourrie des connaissances de ses ancêtres Inuits, Daa grandit fille de la terre, insoumise, libre et sauvage. Ce qui est infligé à la nature, elle en souffre au plus profond de sa chair.
C’est ce sentiment de révolte face à un intrus qui ne respecte pas sa forêt qu’elle ressent lorsqu’elle voit Laure, « garçon a la peau d’un esprit de rivière qui serait sans cesse plongé dans l’eau et lavé par le jeu des galets » pour la première fois. Laure, fils d’un mineur qui s’épuise dans les entrailles de la mine voisine, traîne son albinisme comme un fardeau et aspire à devenir médecin pour gagner l’assurance qui lui manque. Seules quelques branches cassées impossibles à recoller témoigneront de cette furtive rencontre.
De longues années passent avant que leurs chemins ne se croisent à nouveau et que l’étincelle dans les yeux de ces deux êtres que tout oppose n’enflamme leurs corps et leurs esprits. Et la suite sera peut-être moins une histoire d’amour que l’union de deux marginalités attirées l’une à l’autre par cette singularité que chacun reconnait dans l’autre. Si Daa fuit la proximité des humains sans en avoir peur, Laure doute et court après la reconnaissance sociale pour effacer sa différence. Et peu à peu, l’écart se creuse entre eux…
Un grand coup de cœur pour ce troisième roman de Audrée Wilhelmy publié en France aux éditions Grasset. Une saveur de fable baignée dans les croyances et les traditions Inuits qui déroule la vie d’une femme résolument hors norme, Ina Maka (Mère Terre) jusqu’au plus profond de son être.
« Que sommes-nous sans cette fleur de peau qui tressaille face aux gestes de cruauté banalisée, sinon des bêtes nous aussi,
des-sans-coeur-ni-tête ?«
Gabrielle Filteau-Chiba nous ramène sur les rives de la rivière Kamouraska dans le Bas-Saint-Laurent.
Raphaëlle est agente de protection de la faune. Séparée de sa famille qui ne comprend pas ses choix de vie et sa différence, sa chienne Coyote et la photo de sa grand-mère sont ses seules compagnes dans sa roulotte perdue au milieu des bois. Convaincue de la nécessité de préserver la nature, elle arpente les chemins sans relâche sans grand soutien de la part de sa hiérarchie, bien au chaud dans ses bureaux et déconnectée de la réalité du terrain.
Lorsqu’un matin, sa chienne manque à ses appels, la jeune femme ne sait pas encore qu’elle s’apprête à mettre le doigt dans un engrenage dont elle ne sortira pas indemne. Des disparitions mystérieuses, des animaux mutilés dont les cadavres s’empilent… Si les paysages sont immenses, les rumeurs vont vite et ce qui se dit à demi-mots par peur des représailles dessine un bien sombre scénario.
Portrait d’une éco-guerrière à fleur de peau qui trimballe un passé douloureux solidement accroché à ses bottes, quête des origines, histoire d’amour et de vengeance qui emprunte au roman noir et pur bijou de nature writing, sans oublier le clin d’œil appuyé au personnage de Anouk rencontrée dans « Encabanée », Gabrielle Filteau-Chiba semble pas mal se ficher de rentrer dans les cases et confirme, avec ce deuxième roman, sa singularité.
Un grand coup de cœur !
« Encabanée » vient de paraître en poche aux éditions Folio.
« Il parlera des autres et de Middelbourg. Il ne nous racontera pas, la vie d’ici ne se raconte pas. Il nous fera simplement parler à tour de rôle et ce sera suffisant.«
Middelbourg, petit village dans les polders.
Paul a presque 13 ans, et l’ambition de devenir écrivain, il arpente les chemins et collecte des mots, des bouts de phrases, des listes qu’il conserve dans son carnet noir. Pour ce qui est des lettres reçues, il les enterre sous son magnolia. Paul est un enfant singulier.
La mère, Super, s’efforce de joindre les deux boutsavec son travail à la superette. La soeur, Kim ou Birgit, enceinte et encore bien jeune, attend l’arrivée de son bébé en pianotant sur son smartphone avec ses copines au bar du village. Et les autres, Jimmy, Jeroen, les paysages, le temps qui s’écoule, le père, Jan partie en Angleterre, Julia, sa compagne… Tous, êtres vivants, pièces inanimées du puzzle , moments et éléments de « décor » parlent et prêtent tour à tour leur voix pour tisser le fil de leur histoire.
Un texte qui enveloppe son lecteur comme un plaid en plein hiver. La mer et les vagues qui bercent, une douce grisaille et une certaine langueur empreinte de bienveillance planent sur ces pages et ses habitants/personnages.
Laissez-vous porter, une tasse de thé à la main, par ce premier roman de Mario Alonso publié par Le Tripode.
Une lecture qui fait écho, pour moi, à « Ultramarins » de Mariette Navarro, dans sa réconfortante étrangeté.