
Gabriel Aristu est le fils d’un père qui n’aura pu l’élever qu’à travers le prisme de ses traumatismes. Musicien, intellectuel et peu politisé, proche de Garcia Llorca et Pau Casals, le père, qui paraît presque ingénu, rédige des articles publiés dans des journaux de droite dans ces années où en Espagne, ce n’est pas le bon côté pour ceux qui mènent. Il ne se relèvera jamais de son emprisonnement et des tortures subies, et n’aura de cesse d’éloigner son aîné (sa cadette, femme, ne sera pas l’objet d’autant de sacrifices…) de l’archaïsme et de la rugosité de la vieille Europe à laquelle l’Espagne appartient dans son regard douloureusement marqué.
Gabriel ne s’oppose pas et choisit de s’envoler vers les États-Unis.
Il abandonne ses aspirations profondes pour une carrière, faite d’argent et de certitudes, dictée par un sens du devoir indépassable, et délaisse la chevelure rousse d’Adriana Zuber, son amour tout aussi indépassable, contraint et astreint à panser des plaies qui ne sont pas les siennes.
À jamais étranger, il ne trouve nulle part sa place.
À l’aube de sa vie, vieillissant et survivant, il déroge, 50 ans après l’avoir quittée, et retrouve Adriana à Madrid…
C’est une histoire d’amour dans laquelle s’abandonner aux rêves donne à Gabriel Aristu le souffle de continuer à être celui qu’il pense devoir être. C’est l’histoire d’un homme qui reste éternellement le fils, le mari, le père, le travailleur, celui qui ne faillit jamais face aux injonctions. C’est l’histoire d’un destin sans choix et fantasmé qui, bien qu’ancré dans un quotidien d’obligations, reste détaché du réel. C’est l’histoire d’un homme qui, peut-être, n’a pas tout compris…
Un roman superbe, avec une fin splendide, du très grand Antonio Muñoz Molina qui décortique avec une justesse incomparable la complexité de l’âme humaine.
Un grand coup de cœur à paraître le 22/08/25.