Archives de catégorie : Pryscilla a lu

Brèves de solitude de Sylvie Germain

Coup de coeur de Pryscilla

2020, les rumeurs d’une crise sanitaire en toile de fond et une galerie de personnages dans un square. Un lieu où tous sont anonymes comme seul « motif » de ces identités qui se croisent sans réellement se rencontrer, fidèle représentation de nos modes de vie actuels. Frappés collectivement par le confinement (premier épisode), l’isolement de chacun, avec pour tous, la même nuit de pleine lune à contempler.

On interroge ingénieusement la question de la solitude dans notre société contemporaine : seul dans la foule ou avec soi entre quatre murs, on cherche et analyse les différences, libre au lecteur d’en tirer ses propres conclusions.

Chaque personnalité rencontrée est passée au crible, méticuleusement épluchée dans ses travers, ses manies, ses doutes et son humanité. Un exercice de style qui pourrait facilement basculer dans la caricature et qui sous la plume de Sylvie Germain tend à l’universalité. Chacun des personnages (une cruciverbiste presque aigrie, un fils dont la mère est en EPAD, une étudiante, un SDF… etc.) est à la fois seulement lui-même et le fidèle représentant de ses semblables.

Vous vous retrouverez, vous retrouverez votre père, voisin, ami dans ces pages. Vous retrouverez chaque portrait brossé par les médias, individu solidement cramponné à son individualité et incapable pourtant d’échapper à la machine générale.

Un excellent roman, définitivement vacciné contre le traitement nombriliste du coronavirus plutôt de rigueur sous la plume de nombreux auteurs depuis le début de l’épidémie.

Encabannée, de Gabrielle Fliteau-Chiba

Lecture de Pryscilla

« Liste n°115
Mes trois souhaits au génie de la lampe :
– Des bûches qui brûlent jusqu’à l’aube  ;
– Une robe de nuit en peau d’ours polaire ;
– Robin des bois qui cogne à ma porte. 
»

Perdue dans une vie citadine et superficielle, Anouk vend l’appartement qu’elle occupe dans le centre de Montréal pour s’installer dans une cabane au Kamouraska dans le Bas-Saint-Laurent, au Québec.

Bercée par les mots des auteurs qui ont marqué son parcours, émerveillée par la beauté rude de la nature, grisée par la fumée de l’herbe et troublée par une histoire d’amour intense et fugace, le récit d’une « évasion sociétale » pleinement vécue… dans les bonheurs comme dans les peines.

Un hymne à l’écologie et l’amour des grands espaces (petit clin d’œil à Thoreau) et un regard lucide sur ce que chacun est réellement prêt à abandonner pour vivre en accord avec ses convictions…

L’enfant de la prochaine aurore, de Louise Erdrich

Lecture de Pryscilla

Les Etats-Unis, Minnesota.

Cedar Hawk Songmaker, jeune femme enceinte d’origine Ojibwé adoptée par un couple de « blancs » bien pensants, renoue avec ses « parents biologiques » en quête d’information sur son patrimoine génétique. Protéger celui ou celle, et qu’importe sa nature, qu’elle porte dans son ventre deviendra son seul moteur dans un monde bouleversé par les plans incoercibles d’une nature revancharde (et on peut la comprendre !) à l’égard de l’espèce humaine.

Une fin du monde dénuée de catastrophe nucléaire, virus meurtrier, guerre, zombies et autres codes des dystopies « traditionnelles » et pourtant, l’extinction de l’humanité que nous dépeint Louise Erdrich dans ce roman n’en reste pas moins glaçante.

Et si demain c’est le principe même de la reproduction qui était remis en question ? Si le corps des femmes ne pouvaient plus donner naissance à une prochaine génération porteuse d’avenir mais à une forme régressive de l’humain ? Qu’adviendrait-il ? Traquées, enfermées pour leurs utérus et « ceux » qu’ils contiennent, les femmes ne sont plus l’avenir de l’homme… Imbue d’elle-même, infatigable et jalouse détentrice de la plus haute marche du podium du vivant, l’humanité, toujours prête à en découdre, hésiterait-elle à basculer dans l’inconcevable pour sauver sa peau ?

Un roman noir, implacable, à ne pas réserver qu’aux seuls amateurs d’anticipation au sens large.

Les références à l’immense « Servante écarlate » de Atwood, évidente sur la thématique et à l’inaltérable modernité de « 1984 » de Orwell, dans le portrait d’un pouvoir despotique emprunt de religion, restent cependant à modérer (avis personnel…) sans rien retirer à la qualité du texte de Louise Erdrich.

Sssi j’te mords, t’es mort ! de Delye et hudrisier

Ce jour là, le lion se pavane à son habitude dans la brousse quand soudain… “Sssi tu bouges, j’te mords, et sssi j’te mords, t’es mort !” Le serpent sournois menace le roi de la savane ! Les voilà partis faire le tour des animaux pour savoir qui des deux est le plus fort…

Une fable drôle et pleine d’esprit portée par de superbes illustrations.

A partir de 4 ans.

Balbuzar, de Gérard Moncomble et Frédéric Pillot

Voici l’histoire de Balbuzar, grand pirate parcourant les mers et abordant les navires voguant entre l’Empire et Nouvelle-Pépite. Nul ne lui résiste et ses exploits sont légendaires. Bientôt, l’Impératrice décide de l’éliminer et envoie son Commodore à la tête d’une armada pour le combattre… Voici l’affrontement de ces deux marins d’exception, l’un porté par la puissance d’un empire et l’autre par son désir farouche de vivre et de liberté.

Ce combat, c’est aussi celui de l’Empire contre tous les gêneurs qui ne sont pas sous sa coupe. Une fable sur la liberté, sur la résistance, sur le pouvoir.

Un récit de piraterie enjoué, dans une langue pleine d’envolées sublimes, et porté par de grandioses illustrations !

A partir de 8 ans.

Karmen, de Gillem March

Palma de Majorque.
Catalina est jeune femme superbe qui a, aux yeux de son entourage, tout pour être heureuse. Des parents aimants, une colocataire sympa et un ami d’enfance, Xisco, bien présent dans sa vie. Oui, mais…
Alors qu’elle vient de se trancher les veines dans sa salle de bain, débarque Karmen, être surnaturel aux cheveux roses, fonctionnaire de l’au-delà chargée d’accompagner les âmes entre le moment de leur mort et leur réincarnation.
La vie de Catalina, ignorée des vivants, se poursuit entre rêve et réalité et son « ange gardien », retors à l’autorité de sa hiérarchie divine, semble bien décidée à lui faire ouvrir les yeux sur ce qu’était la réalité de sa vie.

La couleur d’une âme perdue peut-elle changer ? Peut-on changer le cours d’une destinée avant qu’il ne soit trop tard ? Existe t-il une seconde chance ?…
Autant de questions ouvertes par Guillem March dans cette histoire originale et graphiquement très réussie.

http://guillemmarch.blogspot.com/

La terre demeure, de Georges R. Stewart

Coup de cœur de Pryscilla

Ish survit à une mystérieuse pandémie qui frappe la population. Jusqu’alors seul dans les montagnes, il découvre la disparition de la civilisation sans rien avoir vu des événements qui en sont à l’origine. Hébété et incrédule, il se lance sur les routes des États-Unis, de la Californie jusqu’à New-York, et son périple chaotique est prétexte aux premières observations. Il n’est pas le seul survivant et c’est en rebroussant chemin qu’il prendra la tête d’une petite communauté de rescapés.

La trame du roman ressemble à tant d’autres dans le registre de la fiction post-apocalyptique qu’on pourrait penser que cette œuvre de George R. Stewart n’a rien d’original, ce serait réducteur.

Le roman publié en 1949 (contemporain de 1984) est une réflexion d’une modernité terrifiante sur l’humanité et sa fin. Croissance exponentielle de la population et consommation irraisonnée des ressources sont déjà au cœur des interrogations de l’auteur. La place de la femme dans la société, celle des « Noirs, » l’opposition entre intellectuel et manuel, tout y passe et force est de constater qu’en 70 ans rien n’a franchement changé.

Le monde animal reprend ses droits dans des paysages redevenus sauvages et la désurbanisation est à l’œuvre, que reste t-il des « Américains » ? Des livres que plus personnes ne sait lire et dont les contenus ne sauront servir de point de départ à une nouvelle humanité… des vestiges d’une société disparue que les survivants « consomment » sans chercher à en percer les secrets… des bribes éparses de religions et de superstitions… une langue dont la majorité des mots ne font plus sens… Attentistes, partisans du moindre effort, voilà ce que nous dit Stewart de « ces hommes d’après », réjouissant !

Georges R. Stewart (1895-1980), spécialiste de toponymie et professeur d’anglais, est l’auteur de 27 ouvrages de fiction, toponymie, anthropologie et histoire américaine.

« Peut-être étaient-ils trop nombreux, les êtres humains, les vieux systèmes de pensées, les livres. Peut-être les ornières de la pensée étaient-elles devenues trop profondes et les restes du passé étaient-ils trop encombrants, comme des tas d’ordures ou des vieux vêtements. Pourquoi le philosophe ne se réjouirait-il pas de voir tout effacé d’un coup d’éponge ? Alors les hommes repartiraient de zéro et joueraient le jeu avec de nouvelles règles. Qui sait si le gain ne serait pas plus grand que la perte ? »

Malgré tout, de Jordi Lafebre

37 ans après leur première rencontre, Anna et Zeno se retrouvent, enfin. Par petites scènes, on remonte le fil de leur histoire d’amour, menée en parallèle de leur vies respectives, instants de complicités, de passions et de tendresses, jusqu’à leur première rencontre.

Ce magnifique roman graphique met en scène une belle histoire d’amour atypique. On remonte dans le temps sur leurs traces pour mieux reprendre la lecture dans le sens chronologique sitôt terminée !

Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon

Coup de cœur d’Élodie

André est le fils de Gabrielle, mère lointaine et intermittente, avec ses silences et ses grands airs, et de Paul, père fantôme dont il apprendra tardivement l’existence. Mais il y a sa tante Hélène, qui l’a élevé comme un fils avec son mari Léon, et les cousines comme des sœurs, puis Juliette et Antoine.

Le récit déroule, en douceur et par petites touches, les moments forts de cette famille ancrée entre Lot et Cantal, ses bonheurs comme ses silences pesants.

Fin de saison, de Thomas Vinau

Coup de cœur de Pryscilla

« Qu’est-ce qui nous tient quand tout s’écroule ? »

Il existe des gens auprès desquels on se dit qu’on aurait toutes les chances de survivre à la fin du monde, Victor, n’en fait pas partie. Loser magnifique, fainéant jusqu’à l’art d’en vivre, bricoleur picoleur du quotidien, cet anti-héros ne nous vend pas du rêve. Reclus dans sa cave alors que les éléments se déchaînent, coincé entre la cuve à fioul et les cartons prêts pour le prochain vide grenier, avec pour seuls compagnons d’infortune un chien et Cono le lapin, ses chances d’être celui qui sauvera le monde et ses proches sont minces.

Dans ce roman où l’humour noir et l’ironie côtoient la poésie qui le caractérise, Thomas Vinau, nous livre les états d’âmes et réflexions d’un « monsieur tout le monde » confronté à l’effondrement. Évidemment, on s’y retrouve ! On aimerait pouvoir se convaincre que dans la même situation, on serait de ceux qui prennent les choses en main. Mais, il y a fort à parier qu’à l’image de Victor, bon nombre choisirait la gnôle et les conserves de grattons de canard.

Auteur génialement protéiforme, (romans, nouvelles, jeunesse et poésie entre autres) Thomas Vinau n’en finit pas de nous étonner. Ne passez pas à côté de ce livre, lucide contre pied à notre époque dopée à l’efficacité et aux résultats, vous sourirez, vous rirez et, même, vous réfléchirez !

Aux lecteurs charmés, à ceux qui ne le connaîtraient pas encore, à tous, le magnifique « Ici ça va » du même auteur est disponible aux éditions 10/18.

« Mais non monsieur, tu veux te plaindre, tac tac, on te fout une fin du monde. T’auras des bonnes raisons de chialer comme ça. Ah tu crois que le temps qui passe est une saloperie ? Tu vas voir qu’il y a pire mon cochon. Bien pire. »

Le blog de l’auteur, c’est ici : http://etc-iste.blogspot.com/