Tous les articles par La libraire

Le soldat désaccordé, de Gilles Marchand

Ancien combattant, incapable de tourner dos à la guerre, le narrateur y replonge à travers ses enquêtes pour retrouver un disparu, réhabiliter une victime, soulager les familles et leur attente. Au milieu des horreurs, il remonte les traces d’une mystérieuse fille de la lune et celles d’un soldat amoureux, “Cette histoire d’amoureux disparu, ça me permettait de me retourner sur cette guerre avec l’espoir de trouver un peu de beau dans tout ce merdier.

Un beau roman plein de poésie et de tendresse malgré les horreurs, qui nous plonge dans la grande guerre mais aussi dans les années d’après.

La Bigaille, histoire d’une utopie culturelle collective de Thibaut Lambert

On en revient toujours à la même chose. Mettre de côté l’égo et l’individualisme au profit d’un collectif.

Cela ne veut pas dire qu’il faut fermer sa gueule. Mais laisser une place à tout le monde. (…)

La belle histoire de “La Bigaille”, bar culturel et associatif à Marennes en Charente-Maritime ou comment un groupe de citoyens.nes en mal de culture et de vivre ensemble a pris les choses en main pour redynamiser leur petit coin de verdure. Mode d’emploi à l’usage de celles et ceux qui voudraient se lancer, retour d’expérience et surtout, récit d’une belle aventure commune rendue possible par l’engagement de chacune et chacun pour le bien-être de toutes et tous.

Aux éditions Des ronds dans l’O.

La sauvagière de Corinne Morel Darleux

Posée sans envie dans une vie moderne et citadine, irritée par le bruit incessant du monde et des gens, effrayée par sa propre douleur, elle ne trouve pas sa place dans cette “normalité”. Conduire sa moto pour échapper à son malaise permanent est le petit souffle de liberté qui apaise sur l’instant ses angoisses, c’est aussi ce qui va la propulser tête la première sur l’asphalte. Lorsqu’elle ouvre les yeux dans une tanière de plaids et de couvertures, son regard a bien du mal a accroché l’extérieur de la maison forestière. Autour d’elle, Jeanne et Stella, mais aussi le jardin, le verger, la montagne et la nature imperturbable.

Elle s’installe doucement dans ce quotidien frugal rythmé par les saisons, chaque geste choisi, dicté par l’approche de l’hiver et la nécessité de s’y préparer. Une sororité sans mot unit les trois femmes dans une atmosphère étrange. Mais un matin, elle se réveille dans une maison vide. Du rêve à la folie pour échapper aux appels du réel qui la poursuivent, guidée par une kistune sage et bienveillante, elle va devoir apprendre à apprivoiser ses peurs pour arrêter de fuir.

Fable fantastique et critique sociale, un plaidoyer en faveur d’une vie qui renouerait avec une autonomie matérielle et politique et qui réenchanterait le collectif face à une société individualiste qui s’autodigère à force de croissance et de surabondance de technologies.

Un coup de cœur pour ce premier roman pour adulte de Corinne Morel Darleux, déjà autrice d’ouvrages pour la jeunesse et d’un essai aux éditions Libertalia, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce.

https://www.editionslibertalia.com/catalogue/la-petite-litteraire/corinne-morel-darleux-plutot-couler-en-beaute

Le blog de Corinne Morel Darleux : https://revoirleslucioles.org/

Les chairs impatientes de Marion Roucheux

Je veux qu’on me rende ce corps d’avant qui ne vivait que pour lui-même, qui ne nourrissait aucune autre vie, qui ne subissait que les assauts qu’il autorisait. Je n’ai jamais voulu de ce corps de mère, lesté d’obligations et de folie. Je veux mon corps libre, libre de jouir, d’aimer, de dormir, libre de s’échapper, libre de tout quitter, libre de revenir. Libre de trahir.

Avec lui, je me souviens des moments qu’on n’a pas encore vécus.

À la naissance de son second enfant, elle perd pied et se retrouve en maison de repos au bord d’un lac de montagne. Une chute sur les pistes de skis, la main d’un homme qui se tend pour la relever et c’est le début d’un embrasement qui va peu à peu l’envahir jusqu’à l’obsession. Une envie crue, impossible à réfréner s’empare d’elle et recouvre son quotidien d’un voile terne. Si ce désir sexuel lui apparaît comme l’élan vital susceptible de réveiller son corps et de retrouver celle qu’elle a été “avant” de devenir épouse et mère, la réalité ne tarde pas à la rattraper. Le constat est sans appel : elle est prisonnière et seule la forme des barreaux change.

Une plongée dans le burn-out maternel et le désir féminin. Librement érotique et d’une vérité sans fioriture sur les hauts et les bas qui peuvent traverser une vie de femme et de mère, le choix radical pour lequel la narratrice finit par opter détonne et propose une fin surprenante pour ce premier roman de Marion Roucheux.

L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel

Cher Monsieur le Diable, Sieur Satan, Monseigneur Lucifer, et toutes les autres croix que vous portez, je vous invite cordialement à Breathed, dans L’Ohio, Pays de collines et de balles de foin, de pêcheurs et de miséricordieux.

Puissiez-vous venir en paix.

Avec ma foi la plus sincère,

Autopsy Bliss

Autopsy Bliss est procureur dans la petite ville de Breathed en Ohio étouffée par un été 1984 caniculaire. Sa femme, Stella, héritière d’une entreprise de fabrication de baskets, promène son étrange phobie de la pluie sans jamais quitter la rassurante protection du toit de sa maison. Grand, l’ainé de leur deux fils est un prometteur joueur de base-ball qui apprend le russe et attire le regard de toutes les jeunes filles du coin. Fielding, le petit dernier de cette singulière famille prend la parole pour raconter l’étrange histoire qui a débuté cet été là et bouleversé à jamais le calme qui régnait au sein de leur communauté.

Lorsque le jeune Sal, dans sa salopette sale avec son bol et sa cuillère à la main, fait son apparition en ville en prétendant être le Diable venu en réponse à l’invitation de Autopsy, les esprits s’échauffent. Si certains voient en lui, un ami, un frère, un fils, d’autres en feront le bouc émissaire de leur souffrance… Le démon qui sommeille en chacune et chacun des habitants de Breathed prend la forme de leurs angoisses les plus profondes et vient aiguillonner leurs sentiments les plus sombres.

Tiffany McDaniel sait raconter des histoires ! Avec en toile de fond, les débuts de l’épidémie de sida, les relents racistes d’une Amérique conservatrice et les premières manifestations du changement climatique en cours, l’autrice qui avait déjà conquis les lectrices et les lecteurs avec Betty, reste dans la veine du grand roman américain.

Le Pion de Paco Cerdà

La force d’un pion : le sacrifice communautaire pour saper la structure adversaire.

Stockholm, 1962. La partie d’échecs qui oppose Arturo Pomar à Bobby Fischer. Sur l’épaule de l’enfant prodige espagnol la main de fer du Caudillo et dans l’attitude de l’américain toute la morgue affichée par les États-Unis dans cette période de guerre froide. Si les deux hommes face à face, simples pions entre les mains des puissants s’affrontent sur l’échiquier, la technique et la stratégie importent moins que la portée symbolique de leur duel, puissant reflet de deux visions du monde qui s’entrechoquent.

(…) Que sont les échecs ? Réponse de Boris Spassky : Les échecs, c’est comme la vie. Réponse de Bobby Fischer : Les échecs, c’est la vie.

Une fiction en 77 mouvements comme autant de coups qui ont jalonné cette partie. Aux portraits des grands noms des échecs se mêlent ceux des femmes et des hommes sacrifiés sur l’autel des enjeux géopolitiques de la seconde moitié du 20ème siècle. Communistes, maquisards, ouvriers, socialistes, membres de l’ETA, chrétiens, républicains, étudiants, phalangistes, Afro-américains, pacifistes, indigènes, militants antinucléaires, gauchistes ou militaires dénués de libre arbitre, celles et ceux dont l’histoire a retenu le nom et les nombreuses et nombreux oubliés, toutes et tous instrumentalisés aux fins très personnelles des grands de ce monde et jouets malgré eux de la force de leur engagement.

La liberté du pion, blanc ou noir, se heurte toujours aux limites des 64 cases de l’échiquier…

Journaliste et éditeur, Paco Cerdà est l’auteur d’un précédent ouvrage en 2017, Los ultimos traduit en France sous le titre Les Quichottes également aux éditions de la Contre Allée.

L’heure des oiseaux, de Maud Simmonot

Dans l’orphelinat de Jersey, Lily et le Petit subissent, comme tant d’autres, brimades et abus en tout genres. A la moindre occasion, Lily s’échappe dans le parc, entourée de nature, et rêve sa vie.

La narratrice arrive sur l’île en quête de traces, de témoignages de cette histoire enfouie derrière les hauts murs de l’orphelinat qui avaient dissimulé au monde la violence de ce qui se déroulait à l’intérieur.

Un roman délicat et lumineux qui déroule son fil par petites touches et dévoile un scandale rapidement étouffé pour que l’île retrouve sa tranquillité.

Le Principe de réalité ouzbek de Thiphaine Le Gall

Madame,

J’ai bien reçu votre lettre datée du 5 avril m’informant que ma candidature au poste de professeur de français et de philosophie au lycée de Tachkent (Ouzbékistan), en dépit de ses nombreuses qualités, n’avait pas été retenue. J’ai pris acte de vos regrets et de votre respect profond. Je suis cependant moi-même au regret le plus sincère de vous informer que je ne peux accepter votre refus. Ma décision est irrémédiable : je prendrai le poste, il faut que vous en soyez convaincue.

Exprimer sans conteste la nécessité impérieuse du refus du refus dans une unique lettre qui semble jetée sur le papier comme une bouteille à la mer.
Elle est au pied du mur et c’est une question de (sur)vie.
Elle est professeure de français et de philosophie, mariée ou presque à Mathias et mère de deux enfants, la réalité de la vie telle qu’on la conçoit “généralement”. Et il y a cette autre femme, celle qui cherche dans un quotidien difficilement à la hauteur du fantasme, à brouiller les pistes entre la confrontation au réel et la puissance de l’imagination.
Elle n’est pas de celles qui supportent la demie teinte. Passionnée comme celles qui ne savent pas faire autrement, qu’il s’agisse d’amour ou de littérature, et prête à tout pour une vie à la hauteur de l’intensité de son roman intérieur. Parce que, soyons tout de suite d’accord, le principe de réalité ne fait pas le poids quand il est question d’amour et de littérature.
Cette introspection profonde, entrecoupée des digressions sur le monde qui l’entoure de cette trentenaire qui ne veut plus retenir ses coups, prend la forme d’une confession franche, intime et puissante et pose un regard brûlant sur le sentiment amoureux et les tourments qui lui vont si bien.
Une lecture comme une soirée à écouter une amie vider son sac autour d’un verre de vin. Une soirée de celles qui viennent forcément titiller nos propres ressentis et petits arrangements entre ce que nous faisons de nos vies et ce que nous voulons en faire.

Je ne veux plus subir, vous comprenez ?

Le deuxième roman publié de Thiphaine Le Gall à paraître le 18 août 2022 aux éditions La manufacture de livres. Une incontestable pépite et une écriture aussi fluide que magnétique.

Le goûter du Lion, d’Ito Ogawa

“Le bonheur, c’était de couler des jours ordinaires, à se plaindre juste un peu, sans se rendre compte que l’on était heureux.”

Gravement malade, Shizuku choisit de finir sa vie dans La maison du Lion, un lieu apaisant, sans acharnement, qui accompagne et apaise pour offrir une fin heureuse. Aux côté des bénévoles et des autres pensionnaires, elle commence sa nouvelle vie, prête à profiter de chaque instant, notamment lors du fameux goûter du dimanche, qui réunit tout le monde autour d’un dessert d’enfance, riche en saveurs comme en souvenirs.

Une très beau roman, délicat et poétique, aux côtés d’une jeune femme qui apprivoise la mort en apprenant à vivre pleinement.

“Accepter la mort, c’était aussi accepter son désir de vivre, de vivre le plus longtemps possible.. en vivant pleinement jusqu’à l’heure de ma mort, j’aillais accomplir ma vie.”

Consolée, de Beata Umubyeyi Mairesse

Consolée grandit au Rwanda, enlevée au siens et confiée à un orphelinat qui prend en charge les enfants “mulâtres”. Astrida, touchée par Alzheimer, perd l’usage du français et ne s’exprime que dans une langue inconnue qui l’isole de plus en plus. Quand Ramata arrive dans la maison de retraite pour son stage de thérapeute, elle se prend d’affection pour cette vieille dame et tente de comprendre qui elle est et d’où elle vient.

A travers trois destins croisés, entre racisme, exil et quêtes d’identités, le livre retrace une part sombre et méconnue de l’histoire de la Belgique coloniale.