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Boris, 1985 de Douna Loup

Boris Weisfeiller, disparu au Chili en 1985. Un nom parmi tant d’autres sur la liste des disparus pendant les années de dictature de Pinochet. Nous ne le connaissons pas, il n’apparaît pas sur nos portraits de famille et nous ne partageons pas de liens avec lui et pourtant, dès les premières pages du récit de Douna Loup, il devient notre propre chair.

Boris est né en URSS dans une famille juive au tout début des années 1940. Son père, médecin juif hongrois qui avait fui Budapest après avoir participé au soulèvement de 1922 contre le gouvernement, les abandonne, lui, sa sœur Olga et leur mère, après avoir été expédié en Sibérie en 1950. Boris devient un élève brillant et malgré les difficultés que rencontrent la famille pour subvenir à ses besoins, il intègre l’université et en sort diplômé en 1963. Empêché de poursuivre une carrière scientifique dans son pays, il fait une demande d’exil en Israël dont il ne foulera finalement jamais le sol pour atterrir, en 1975, aux États-Unis. Une vie libre, enfin, pour ce trentenaire passionné par les chiffres autant que par les grands espaces.

Rien d’étonnant pour sa famille, restée en URSS, ni pour ses amis, à le voir prendre un avion en décembre 1984 en direction du Chili. Le 15 janvier 1985, son sac à dos et ses effets personnels sont retrouvés au bord de la rivière Nuble. Personne ne le reverra.

Entre 2019 et 2020, Douna Loup prend la route des États-Unis et du Chili à la suite de ses ainées. Elle multiplie les rencontres, traque les détails qui auraient pu leur échapper pour espérer, à son tour, clore ce chapitre de leur histoire resté sans point final depuis 1985. D’une tragédie personnelle et intime, Douna Loup dont Boris est le grand-oncle, livre un récit vaste et puissant sur le Chili des années 1980. L’enquête irrésolue héritée de sa propre histoire familiale devient celle menée par chaque famille chilienne amputée d’un membre par Pinochet et sa meurtrière DINA.

Les Pizzlys de Jérémie Moreau

Un récit haut en couleurs acidulées, un découpage hors pair, une narration qui file et des dialogues ciselés.

C’est l’histoire d’une fratrie : Nathan, Zoé et Etienne, orphelins citadins ubérisés et accros aux écrans et leur rencontre avec Annie, une veille dame qui retourne dans son pays qu’est l’Alaska après 40 ans de mariage en France. Elle les emmène dans son monde et sa culture, qui a changé : le climat se détraque, les eaux montent, les espèces animales se mélangent, l’alcool dévaste les peuples autochtones.

C’est l’histoire d’une rencontre entre des êtres, qu’ils soient enfants ou adultes, apprenant à s’adapter dans de nouveaux paysages et modes de vie. C’est aussi l’histoire d’une rencontre entre Inuits & Européens, l’histoire d’accidents et de perditions. C’est l’histoire de l’évocation des anciens mythes comme des boussoles et l’espoir d’un futur dans un présent instable.

Cette bande dessinée de Jérémie Moreau est un bijou, son tempo, ses dessins, ses couleurs flashs nous emportent avec tout l’intranquille décrit, nous ouvre vers des possibles, ravive nos imaginaires et nos pensées. Merci.

C’est à découvrir absolument, à lire et relire.

Harlem Shuffle de Colson Whitehead

L’ascenseur social n’embarque pas grand monde dans le Harlem des années 1960 et Carney, vendeur de meubles et d’électroménager sur la 125ème avenue, est décidé à ne pas râter le coche. Avec une femme issue de la “haute” dont les parents jubilent à l’idée de le rabaisser à la moindre occasion et deux gosses à nourrir, c’est bien certain que sa vie aurait une autre gueule côté Riverside dans un appartement plus grand et confortable. Sauf que le commerce ça ne paie pas aussi bien qu’il le voudrait et ce ne sont pas les quelques petites entorses à la légalité qui font bouillir la marmite. Qu’on se le dise, Carney est un (brin) filou mais pas un voyou et c’est bien contre son gré et par fidélité familiale un peu bonne poire qu’il va se retrouver embarquer dans un gros coup. Et si ça sent rapidement le roussi parce que dans le quartier, ni les truands armés, ni ceux en col blanc, ni les flics ne plaisantent quand on essaie de la leur faire à l’envers, il se pourrait bien que Carney parvienne tout de même à tirer son épingle du jeu.

Lutte des classes à l’aigre plus que doux, proxénétisme et banditisme qui empruntent au cocasse sans échapper à la violence, l’humour mordant ne parvient pas à évincer l’âpreté de l’époque.

Executeur testamentaire en revisite du roman noir américain, Colson Whitehead excelle dans cette peinture de la réalité politique et sociale de Harlem au début des années 1960.

Fille en colère sur un banc de pierre de Véronique Ovaldé

Aïda a quitté son île natale et sa famille depuis bien des années et ne s’attend pas à ce qu’on la prévienne de la mort de son père. Elle décide d’y retourner, se confronter à ses sœurs, au silence, à la disparition de Mimi lorsqu’elle était enfant, qu’on ne lui jamais pardonnée. Le passé va remonter, et avec lui, peut-être, la résolution de cette disparition.

Un roman prenant qui nous plonge dans les silences et non-dits d’une famille frappée par la tragédie.

Prends ma main, de Dolen Perkins-Valdez

Alabama, années 70.
La jeune Civil entre comme infirmière dans un planning familial, désireuse de venir en aide aux femmes les plus démunies. Mais bien vite elle s’interroge sur les méthodes et les produits auxquels sont soumises les patientes. Elle se prend d’affection pour deux fillettes et va se battre pour leur rendre justice et faire changer les choses.

Une passionnante histoire, qui s’inspire de faits réels, et met au jour différents scandales sur des abus en matière de santé publique, dans un système basé sur la confiance qui profite de la pauvreté et de l’analphabétisme de leurs patients pour mener des études ou des pratiques immorales sous couvert de soins…

La carte postale, Anne Berest

Dix ans après que sa famille ait reçu une mystérieuse carte postale, ne comportant que les noms de ses ancêtres déportés lors de la seconde guerre mondiale, la narratrice se lance dans une enquête pour découvrir à la fois l’auteur de cette carte mais aussi les parcours de ses ancêtres.

Un récit qui nous offre une plongée dans l’histoire familiale de l’autrice, qui s’entremêle à la grande histoire, de leur fuite de la Russie dans les années 30, rattrapé par les horreurs de la seconde guerre mondiale, jusqu’au silence et la parole qui se libèrent enfin aujourd’hui.

Fils de personne, de Jean-François Pasques

Enlisé dans son enquête sur les disparitions de trois femmes, le commandant Delestran se voit confier le cadavre d’un homme retrouvé dans un bassin du jardin des Tuileries. Très vite, la piste de l’accident est écartée…
Deux enquêtes qui nous entraînent au cœur d’un service de police dont l’organisation est chamboulée par l’arrivée d’une psychologue.

Robe de marié, de Pierre Lemaitre

Une femme se réveille à côté du cadavre d’un enfant, sans aucun souvenir de ce qu’il a pu se passer. Ce n’est pas la première fois…
Quand tout tend à la faire basculer dans cette folie qui semble la gagner, une petite part de lucidité la pousse a la fuite et à refuser de croire ce qui semble pourtant inévitable.

Un thriller psychologique qui nous entraine dans une minutieuse et implacable manipulation, à en faire douter de ce qu’est véritablement la réalité…